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samedi 3 octobre 2020

Les nouilles et les couilles





Mon esprit vient de subir un arrêt cardiaque à la suite d’une embolie pulmonaire allant de l’hypothalamus à l’os iliaque. Alors, forcément, mes idées sont en berne ce soir où le noir vient de s’asseoir à même le parvis de ma pensée où il neige des flocons d’été glacé. Il parait que le temps désarçonné de son piédestal s’est mis au diapason de l’heure algérienne sidérale où il souffle un harmattan des plus désolants. Une vieille femme aux couleurs de la géographie remue dans sa tombe les ruines du pays qui s’égrène de calamité en tragédie.

Ouille-ya-hia sait que les envahisseurs sont là, mais il ne peut conduire les vaches comme le faisait si bien Jeannette. Quand elle les gardait, elle était bien plus jolie. Elle avait une belle taille autour de son chapeau où elle mettait une paille et dans sa bouche un joli pipeau. Le temps patine dans la montre en platine qu’il a aux poignets et c’est en clamant « ouille ! ouille ! ouille ! » qu’il fait marcher les brebis. Ah, que c’est vachement beau, notre bergerie où madame l’angérie dort comme dans une porcherie ! C’est la reine des porcs amarrés aux ports où les pirates de Paris à Notre Dame et de Madrid à Amsterdam amassent des trésors aussi grands que les mousquetaires Rmel et Messaoud réunis.

Allongé à même le quai sur le hamac de mes pensées, j’entends les sirènes au loin hululer. Mon âme aussi folle que notre berger se met à fredonner la chansonnette sur Alger la blanche ; celle-ci s’apparente à celle de Chaperon rouge, l’innocente fée parmi les anges aux grandes dents et tout à fait cannibalisés. Sur le pont d’Avignon, on y danse, on y danse la laideur des faubourgs à la manière de Brel et de Gainsbourg et du côté de l’amirauté, l’Angérie moutonne le long de la moutonnière et les brebis de mon quartier se mettent à braire. Alors, l’on se souvient des ânes élus sous la peau des lions et qui ne sont jamais déchus par la magie suprême de la loi de la jungle d’une république cossue.
  
Ouille ! Ouille ! disait ma grand-mère en conduisant les vaches dans le pré. Ouille-yahna ! disait-elle pour les rappeler quand celles-ci s’éloignaient de son emplacement. Les vaches ne l’entendaient pas, elles l’écoutaient ! Reconnaissant sa voix, elles lui obéissaient au doigt et à l’œil et s’il arrive qu’il y ait une « vache galeuse », la mémé vache s’en occupait. Quand on me forçait, pendant mes chères vacances, à remplacer « mani », je trouvais des difficultés immenses à les garder. Oui, nos vaches se rebellaient en observant une grève de la faim. Les retombées étaient dramatiques sur toute la ferme qui arrivait à manquer de son précieux lait qui alimentait les vieux comme les bébés. Les repas s’en trouvaient compromis. Sans lait, pas de dîner ni pour les grands ni pour les petits !

La vache laitière se rapprocha alors de la doyenne de la république couscoussière pour lui remettre ses revendications :

Madame la rentière, par tous les droits qui me sont conférés par les vaches laitières en grève du foin, je vous somme de nous rendre notre « Tebbene » qui nous gavait de t’bene (foin en algérien académique) malgré que nous étions sur la paille. Austérité oblige, mes consœurs et moi transformions les éteules en galettes de diesel supérieur. À défaut de t’bene, le lait va de balles en pis dans cet établi où les veaux ne seront jamais taureaux. J’ose rappeler à votre honneur déshonoré que les génisses établies sur les listes électorales de la communauté Beggara se sont avérées être des moutons falsifiés que Panurge a depuis longtemps dénoncés. Les Beggaras vachement encornés ont transformé la Paix-Yen en une immense corrida où il vaut mieux être vache que taureau. Dans cette arène bovine où les canidés sans canines aboient leur flamenco de joie en l’absence du toréro entamant son dernier boléro, les ouilles de ma grand-mère se mêlent aux couilles de mon grand-père. Au final, nous avons des nouilles dans la jardinière où le marmiton nouvellement débarqué va essayer de faire la cuisinière pour nous concocter une daube nationale.

Pas de t’bene, pas de lait, scande l’assemblée des vaches mutinées agglutinées devant le parvis du fermier d’Alger qui se retrouve comme à l’accoutumée dans un véritable merdier. Il parait que les bouses fermentées donnent plus de blé qu’un meilleur novembre assermenté. Oui, les lads et les boys se sont syndiqués au lieu de déblayer de telle sorte que la centrale ouvrière est submergée par les déchets. Et comment ! À raison de 12 bouses par jour et par bovidé, il faut être « sidi » pour naviguer dans un tel purin. Alors, pour empêcher le trop-plein d’excréments, l’on dépêcha sur les lieux l’homme des sales besognes. Alors, en lieu et place du t’bene qui donnait trop de merde à la fin, l’on fit appel aux nouilles qui donnent du bousin. Cet homme de science a su transformer des vaches en porcs par le passé. Dans le porc d’Alger, il y a des purins qui galèrent en silence de pestilence en pestilence en pissant sur les vaches inféodées qui ne pissent plus sans leur pis en donnant leur vertu pour une pièce de sans écus. Le pis est fait pour pisser, déclare-t-il d’un air docte et pissant. Meuhhhhh ! répondent en chœur les députés de l’étable attitrée.

Un cochon, dit le nouveau maitre, donne une tonne de lisier. Qui dit mieux ! Le monsieur des situations sales vient de trouver une solution cochonne au problème de merde de la bergerie. Au lieu de pétrole, ce sera le méthanol ! Avec l’azote et le phosphore, notre ami va créer un nouveau Bosphore. Des kilomètres à pied, ça use, ça use le nez ! Monsieur, ça pue ! Ne pouvez-vous pas changer ce méthanol en alcool ? Au moins, nous serons tous étourdis. Cela nous fera passer la pilule du pays, le tangage et le roulis. Il ne manquait plus que le mal de terre, mais chapeau au sacré inventeur. Le mal de mer va s’en offusquer, Ya-Ouille-Hia, de se savoir dépassé par un rude adversaire. Qu’à cela ne tienne ! Comme le mieux est l’ennemi du bien, le mal est aussi celui du pire. Alors tant pis, si ça va de mal en pis. Tant qu’il y aura du pis, il y aura de la vache et donc, il y aura du lait. Il ne faut pas être palefrenier pour le deviner quoique ce soit là justement que se trouve l’enclos du cheval. Du cheval ? Oui, puisqu’il s’agit de logis et de son maréchal.


Alors que je fuyais à bord de mon nez, ce vaisseau nasal, le coin de l’Amirauté où il puait un air général, je suis tombé, j’allais dire, nez à nez, avec un monsieur digne d’un conte de fées. Oui en remontant la moutonnière pleine de moutons bêlant à l’envi, j’ai accroché monsieur Séguin qui ahanait en marchant, une canne à la main. J’ai égaré ma chèvre, dit-il, d’un air chevronné. Je l’avais en laisse comme une chienne de compagnie, mais arrivée au coin de la république, elle s’est taillée en catimini. Ah, oui, je m’en souviens, dis-je, d’une voix chevrotante et inouïe ; quand j’étais petit, j’aimais lire la sèvre de monsieur cheguin. Les Séguin, monsieur, sont du côté de Constantine où l’oued du même nom est plus sec que le palais d’Al-Mouradia où l’on fête les noces d’Al-Jamhouria en égorgeant boucs et moutons. Tu as de la chance, monsieur, ta chèvre va te revenir. En remontant le Boulevard des Martyrs, tu vas certainement la trouver en train de brouter au milieu des abrutis et parmi les hamirs. En te voyant, au lieu de bêler pour marquer sa joie, elle va sûrement hennir.