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samedi 28 janvier 2023

L'imam, Madame la ministre et l'Arabie

Œil de Rapace bâille à l’envi en ouvrant sa bouche comme une porte à deux battants dont on a huilé indéfiniment les gongs. Ce village recroquevillé sur lui-même comme une jeune fille encore pucelle respire calme et farniente comme si le monde alentour n’existait pas. Indolent à nul autre pareil, il fume l’existence qui s’entoure autour de lui comme une corde tréfilant une mort lente et évidente. Obséquieux, il rallonge son cou pour offrir une meilleure prise aux crocs géants et insidieux de l’ennui mortifiant, mortifère. Œil de Rapace en califourchon sur une plaine aussi plate que fade entre deux collines oubliées dans cette vaste Oranie où la vie suinte triste et cafardeuse sur la vitre du temps. Les gens apparemment simples promènent leur méchanceté comme une chienne de compagnie qui se soulage à même le trottoir de l’humanité. Ce sont des livres ouverts où le verbe hypocrite se taille la part du con en accaparant tous les chapitres. Les mots ternes et fades se disputent les pages jaunies par l’effet de l’esprit détracteur conjugué à celui laudateur. La citation, nul n’est prophète en son pays, trouve réellement un bel ancrage dans ce village pris en otage par la mentalité rétrograde de ses habitants. En tout cas, il ne fait nullement fausse route, car il est tout à fait à l’image du pays. Il suit le chemin tout tracé d’une certaine pensée née par forceps dans ce vaste cloaque d’Arabie où les Bédouins enfantent des idées aussi bâtardes qu’alambiquées à l’image de celle qu’ils se font à l’endroit de la pauvre outarde qu’ils massacrent pour les besoins vitaux de leur libido princière et royale. Avec leur esprit attardé et échaudé, ils ne pensent qu’au lit. À Œil de Rapace, l’on crie à l’orfraie dès que l’on touche à cette arabité que l’on se fait sienne en niant sa propre identité. Il faut avoir un esprit vraiment carré pour adopter une telle inversion des faits. Il souffle un vent porteur de tous les dangers, à voir les gens se pavaner avec cette terrible conviction.

Yatim n’arrive pas à expliquer de telles noces bizarres. A-t-on opéré le jumelage entre un certain Abdelwahab et un certain Kaddour à l’insu de Gresse et Singapour ? Les deux quartiers pauvres ne peuvent en aucun cas allaiter les chamelles arabes débarquées à mauvais port, car Abdelkader veille depuis longtemps sur la Sikkak la seule mer intérieure. Le barrage est là pour contrer toute navigation à vue de cet esprit destructeur qui ne connait désormais plus de frontières. Édifiant ! Chaque quartier veut avoir sa propre mosquée, alors l’on multiplie les associations religieuses, cela s’entend. L’État suit en distribuant les autorisations par ignorance, démission et déliquescence. L’on construit et cela pousse comme des champignons ; le « notre mosquée » prend des proportions alarmantes. L’on s’en fout et l’on distribue des imams qui sont souvent de pauvres péquenots pour ne pas dire des malades mentaux. Des personnes accusant un déficit mental alarmant sont dépêchées sur les lieux pour encadrer des « ghachis » (populace) afin qu’ils rejoignent le paradis. Une première en Algérie, l’on invente un nouveau permis pour conduire la prière et les chauffeurs aussi. Du coup, l’on sépare au lieu de rassembler, et chaque imam allant de sa voix, l’on excelle dans la cacophonie.

À l’image du pays, Œil de Rapace invente un nouveau procédé. Désormais, l’on peut soutenir la Palestine occupée, sans jamais quitter son lit. Mieux encore, des docteurs et des licenciés viennent de mettre en œuvre de l’inédit. En effet, jugez-en ! Pour empêcher l’éradication d’Alqods de la surface de la Terre, l’on construit sa copie à Lavayssiere (Œil de Rapace colonial). Monsieur l’ingénieur en urbanisme est sollicité. Le coq pond un œuf unique : la première mosquée antiatomique ! Les calculs primaires font ressortir un nombre effarant de piliers d’un mètre de diamètre. Lors de la réalisation, on s’est retrouvé plus de six fois avec trois piliers géants sur une surface de huit mètres carrés. C’est à faire retourner Einstein dans sa tombe. La cité « Oukhoua » (fraternité) peut être fière de sa prouesse. Monsieur l’architecte vient de réinventer la résistance des matériaux à la mode de chez nous ! La concurrence est déloyale. Les premiers temps, l’on se dispute les honneurs à coups de haut-parleurs et d’autres, aussi bas que cajoleurs. L’on se met tantôt à braire et tantôt à ânonner et personne ne trouve rien à dire, malgré les échauffourées qui éclatent çà et là, à l’ombre du mihrab et du minaret. Vivement un imam, pour officier ! L’office ne peut être confié à des sous-officiers. La militarisation est d’ores et déjà déclenchée. La bataille des Ardennes en terre rapacienne a commencé. Le conducteur est annoncé et le carrosse est avancé. L’on se lubrifie le gosier et l’on booste les décibels pour mieux atteindre les esprits et surtout les femmes aux foyers. L’on se souvient enfin de ce sexe faible auquel l’on accorde une importance capitale. Oui, la drague à partir du minbar est enfin instaurée par cette nouvelle vague de prédicateurs et de prêcheurs.

 Le wahhabisme n’est plus rampant, il est ancré à même le sang de ces sacrés faiseurs de prières et de la majorité des fidèles pour ne pas dire des croyants. Ceux-là ne le sont que pour l’endroit pour couper court à toute mauvaise interprétation. Oui, l’on spécule même sur la religion. L’imam nommé par décret se gargarise (la bouche) en affûtant sa langue de bois, le troupeau baisse la tête dans une totale soumission. L’opium des peuples fait doucement son effet et l’on boit les paroles absconses coupées aux mots obtus. Le son est tellement fort que l’on est abasourdi. Il faut être vraiment malade ou maso pour subir une telle pollution sonore, une telle torture. Certains torturés le lui font remarquer, mais monsieur se sent personnellement visé. Alors, usant de malice et de perversion, il coupe le son et de l’amplificateur et de sa voix. La réaction est immédiate. On lui demande de rétablir, car l’on n’entend plus sa récitation. Cela lui donne des ailes et du poil de la bête. Ce sont des gens auxquels le Coran fait mal aux oreilles qui l’ont obligé à couper le son, jase-t-il à bout portant. Profitant de l’aubaine et de l’occasion, il règle l’amplificateur à fond ; la force de sa voix aidant, il va à la conquête de ces dames qu’il chérit tant ! Ce quidam ignore tout des acouphènes.

C’est avec le cerveau chargé à craquer de ces idées qui s’entrechoquent en se télescopant qu’Yatim s’endormit cette nuit-là.

« Yatim fait le parallèle entre Najd et la mosquée de cet énergumène déguisé en imam par la faute d’un pouvoir atteint de cécité. Le royaume de sable s’invite à Œil de Rapace par le grand portail ouvert sur ces deux battants formés par l’ignorance et la médiocrité. Appuyé au chambranle de la porte principale, Benkebrit observe Yatim qui se cherche une issue au malaise grandissant de son esprit. Leurs regards se croisent et se décroisent au fur et à mesure que le temps pris en otage déserte la pensée universelle. Tantôt en robe à fleurs à l’image du printemps, tantôt en kamis noir à l’image du désespoir, elle balance en escarpolette entre l’âme et la raison d’Yatim qui se prête au jeu des hallucinations. Le courant wahhabo-arabe est tellement fort que la tension monte de plusieurs crans sur l’échelle de Richter augurant d’un imminent tremblement de terre.

— Bonjour, Madame, lui dit-il en s’avançant vers elle d’un pas timoré.
— Bonjour, monsieur l’imam, lui répondit-elle en souriant.
— Votre sourire m’embaume le cœur que je sens étroit dans cet endroit sacré que j’aime. Cependant, je le trouve anachronique et mal placé, car votre présence me surprend. 
— En effet, je ne dois pas être là. Je viens d’avoir une panne au cerveau et j’ai perdu la notion de l’orientation. Je dois me rendre au Yémen en toute urgence pour régler les problèmes inhérents à mon département.
— Le Yémen ?
— Oui, ignorez-vous tout de la géographie ? Ne me laissez pas croire que vous êtes infographe aussi !
— Infographe ? Je suis désolé de vous décevoir, Madame. Je ne vois pas du tout clair d’autant plus que j’ai eu tantôt un court-circuit à l’esprit.

Soudain, Yatim fut submergé par un tumulte enveloppant. Les fidèles pressés de quitter la mosquée se ruaient sur la porte de sortie. Il fut tellement bousculé par des coups d’épaules et de coudes qu’il faillit tomber à la renverse, n’était son réflexe et la bienveillance du Tout puissant. Dans la mêlée, Benkebrit fut effacée du champ de sa vision qu’il essaya de rétablir en actionnant le levier du courant interne de sa raison. Il faisait noir dans cette antichambre où la réalité amère et suffocante tressait les fils ténébreux d’un avenir malheureux.

« La lecture du Coran leur fait mal aux oreilles ! » claironne le jeune barbu « imamisé ».

L’écho des paroles iniques se répercute dans la gorge d’Yatim comme un verset satanique. Il divise, déjà ! « Leur » revient aux croyants sensés qui lui ont simplement demandé de baisser un peu le son.

 Les « taraouihs » qui ne sont finalement que des prières surérogatoires furent terribles cette année-là. En effet, la chasse au décibel fut ouverte bien avant la venue du mois sacré de Ramadan. D’aucuns diront que ce phénomène existe durant toute l’année à travers les prêches du vendredi. Oui, mais il requière une touche exceptionnelle lors du mois du jeûne. Cependant, l’usage assourdissant des haut-parleurs est on ne peut plus intolérable surtout à l’intérieur même des salles de prière. Il est insoutenable de subir pendant une heure une telle agression sonore. Il est à souligner la cacophonie engendrée au-dehors par la multiplication des mosquées. Des voix aussi différentes que variées vont s’escrimer dans le ciel de nos villes et villages dans une véritable anarchie en lisant la même sourate, le même verset. Seulement, faute de synchronisation du fait de la différence de niveaux de paliers et de la vitesse du son, les voix vont se chevaucher, s’imbriquer, s’interférer au détriment de la chose sacrée. Comme c’est un sujet sensible qui frôle le tabou, l’on n’ose pas en parler, car l’on risque d’être taxé d’impie. Ces incultes croyants désacralisent le Coran en pensant le glorifier et personne ne pourra venir à bout de leur conviction. Ostentation oblige, l’on excelle à porter la voix au-delà du seuil de la tolérance de l’oreille humaine. Dès lors, la compétition est lancée et l’agression programmée. Décibels contre décibels, l’on prend en otage le texte sacré et toutes les franges de la population ; l’on s’attarde d’emblée sur le superficiel et le séculier en négligeant l’essentiel, la déférence et la piété.

— Mais, Madame, où êtes-vous passée ? Je ne vous vois plus !
— Elle est partie faire un tour d’horizon. Elle m’a chargé de vous dire de l’attendre, elle revient dans un instant.
— Bonjour, Monsieur Dashti. Quel bon vent vous amène ?
— Hein ! Je suis vraiment surpris. Vous m’avez reconnu, alors que je n’ai jamais mis les pieds en Algérie.
— Je suppose que c’est votre énergie positive qui vous a devancé. Les murs ont des yeux en sus des oreilles. Cependant, votre présence parmi nous est surprenante ; le Koweït n’est pas la porte d’à côté.
— En effet, je ne peux expliquer mon atterrissage en Algérie. Je partais pour le Yémen et me voilà dérouté.
— Le Yémen ?
— Oui, mon ami ! Le Yémen de la reine de Saba et des Hadramoutis, des Houthis et autres Bédouis. Ne me dis pas que tu ignores tout de la géographie !
— Ah, je vois ! C’est toi Benkebrit déguisée !
— Benkebrit ? Tu hallucines, mon vieux. Ce nom m’est inconnu et je ne comprends pas la raison qui te pousse à agir ainsi. Je suis bel et bien Dashti, le député révoqué du parlement koweïtien.
— Je crois devenir fou. Il y a un instant, elle était là et elle me tenait les mêmes propos.
— Moi aussi je sens un brin de folie, car je ne sais pas ce que je fais dans ce pays.

Le fidèle doit obligatoirement sanctifier le Coran. Si la récitation à voix audible éveille le cœur et permet aux gens de concentrer leur esprit sur les versets récités, il est recommandé de le faire alors, à voix haute, mais pas par ostentation et sans perturber et déranger les gens. « N’élève pas trop la voix dans ta prière et ne prie pas non plus à voix assourdie. Entre les deux, choisis le juste milieu ! » Ce verset est on ne peut plus clair sur la façon de faire une invocation. Ces derniers temps, l’on assiste à une véritable déviation génératrice de clameurs et de fitnas et les imams et autres conducteurs de prières doivent être impérativement rappelés à l’ordre. Les lieux de culte musulman et les chargés de l’enseignement de celui-ci ne cessent de porter atteinte à l’Islam véritable en montrant continuellement une image dégradée de lui.

— Seuls les infidèles et autres hypocrites refusent d’écouter le Coran, martèle le jeune endoctriné, le micro complètement dans la bouche.
— Ils préfèrent entendre la musique raï, répond l’assemblée en chœur.
— Je suis l’imam et l’imam, je suis ! Clame-t-il en bombant la poitrine.
— Sidi, mettez le son à fond ! Qu’ils aillent aux diables, les faux musulmans.

L’ignorance bat son plein, elle fait tache d’huile ; elle s’étend jusqu’aux confins du monde en passant par tous les déserts arabes où le sable est plus con que le sang. Chez les véritables citoyens du monde, l’amplification ne doit en aucun cas exposer les gens à des niveaux sonores supérieurs à 120 décibels pondérés A. La réglementation impose de ne pas franchir les 100 décibels pour un temps maximum d’exposition de 15 minutes. L’exposition à des niveaux sonores élevés peut avoir des effets temporaires et des effets permanents.

— Revenons à nos moutons, Monsieur Dashti. Qu’avez-vous tous les deux avec le Yémen ?
— Les deux ? Tu me vois en double, monsieur Yatim ?
— Je parle de Benkebrit aussi.
— Ah, d’accord ! Toutefois, je ne vois nullement le rapport.
— Eh bien, mon ami ! Je pense que votre traceur de route accuse un déficit en matière d’orientation, à moins que le soleil se lève à l’Ouest et se couche à l’Est. Par les temps qui courent tout concoure à croire que la vie commence à foutre le camp.
— Ne compliquez pas les choses s’il vous plait, elles sont déjà assez confuses. Expliquez-moi la relation de Benkebrit avec le Yémen.
— Le point commun entre nous tous autant que nous sommes est cet énergumène barbu qui nous toise en catimini du haut de son minaret. Il véhicule un mode de pensée des plus graves et des plus rétrogrades, mais il est tellement imbu de sa personne qu’il croit détenir la vérité. Quant à la relation de Benkebrit, elle est identique à celle de la reine de Saba à la différence que celle-ci était mieux conseillée que notre maîtresse bien aimée.
— Je voyais flou, maintenant, je ne vois plus du tout.
— Cela conforte ma réflexion. Notre reine siège sur notre éducation ; elle trône sur le royaume du ministère qui est, hélas, un malade grabataire en dernière phase de putréfaction. La gangrène a atteint des proportions alarmantes en ce corps capital, en mettant en danger son pronostic vital.
— Je ne vois toujours pas de rapport…
— J’en viens, Monsieur Dashti. Cependant, je dois m’assurer de votre identité, car vous ne ressemblez ni aux Arabes du coin qui détiennent les sceaux de l’arabité ni à ces apôtres détenteurs de la genèse de l’Islam et du gène musulman.
— Écoutez, Monsieur Yatim ! Mon Dieu est éternellement vivant et sa religion est aussi grande que le cœur des hommes où je dresse la hampe de ma nationalité. Par bêtise humaine, l’on m’a coupé l’herbe sous les pieds dans cette arabité où le désert ronge même les esprits. C’est le Koweït qui est à l’étroit de mes idées et non mon cœur à l’endroit de cette cité qui m’a vu naître et grandir à l’ombre de ces émirs aussi lâches qu’imbéciles. Personne ne peut m’ôter la vie en dehors du Décret suprême. L’exil forcé ou décidé est une autre forme de résistance tout aussi redoutable et dont l’incidence est plus forte qu’une explosion.
— Tiens ! Madame Benkebrit est de retour. Elle semble inquiète à son air penaud.
— Messieurs, je voudrais faire pipi ! Y a-t-il une pissotière par ici ?

La vie atteinte d’hérésie s’immobilise au bord de l’asphyxie ; le ciel perdant ses repères se déchire dans un grand tonnerre, et le soleil, pris dans la tourmente, s’affale sur la Terre qui se retire en se couvrant la tête à l’aide de sa robe qu’elle a retroussée en mettant à nu ses fesses et une partie de sa nudité ; le temps se fige en ameutant les heures, les minutes, les secondes et toute la panoplie en décrétant la mobilisation générale et en sonnant le branle-bas de combat ; faute d’espace vital, il se suicide en annonçant la fin de la vie.

L’imam pris par un hoquet des plus vilains écorche les versets avalés par son micro qui lui bouche le gosier ; il saute, sursaute et tressaute ne sachant où aller. Sa boussole religieuse s’affole en lui indiquant l’enfer au lieu du paradis.

— Répondez-lui, Monsieur Dashti, avant que l’obscurité n’atteigne la lumière et avant que la mort n’éteigne la vie !
— Non, monsieur Yatim, vous êtes mieux placé que moi pour ce genre de gymnastique.
— Je vous en prie, Messieurs, je ne peux tenir longtemps, leur dit-elle en se compressant le bas ventre et en resserrant les jambes.
— Vous êtes folle, Madame ! Votre insolence et votre manque d’éducation sont, on ne put plus, dégradants. Vous outrepassez les règles et les limites. Vous êtes une femme sans pudeur et donc vouée à la géhenne, inch Allah, lui lance l’imam du fond de sa geôle mentale et sacerdotale.
— Vous ne pouviez pas vous taire, Madame ! Nous aurions pu passer votre incontinence sous silence, le temps que le gardien du temple débarrasse le plancher.
— Mais Monsieur Yatim, je n’avais pas prévu un tel phénomène, puisque faire pipi est devenu un sérieux problème.
— Vite ! Dite à cette dame de quitter les lieux, la mosquée n’est pas faite pour les femmes sans honte et sans voile. Je n’ai jamais vu de ma vie une femme faire pipi dans la rue et encore moins dans l’enceinte d’une mosquée, intervient encore l’imam furieux et totalement défiguré.
— Du nerf, Madame ! Retenez-vous juste une minute ! Je vous emmène chez moi vous soulager, lança Yatim à l’adresse de la pauvre créature.
— Non, je ne tiendrai pas le coup !
— Entrez, Madame, et suivez ce couloir ! La salle des ablutions est là-bas au fond, prenez l’escalier qui descend.

L’imam demeura interdit en voyant la gentille dame emprunter le corridor longeant la salle de prière en petites foulées. Le bruit de ses talons et de ses enjambées se répercuta en écho dans toute la mosquée. Frisant la folie et soufflant comme un taureau excité et fatigué, il rejoint les deux hommes d’un pas rapide et décidé.

— Vous venez de commettre un parjure, Monsieur Yatim. Comment avez-vous osé pareille chose ? Pauvre malheureux ! Avez-vous oublié que c’est la maison de Dieu dont il s’agit ? La maison d’Allah ne peut accepter une telle offense.
— Du calme, mon ami. Nous n’allions pas la laisser mouiller ses habits et le parvis, quand même ! Et puis, cela n’a rien à voir avec la mosquée, puisque les toilettes sont tout à fait de l’autre côté.
— C’est un sacrilège qui ne dit pas son nom, je ne pense pas qu’Allah puisse nous pardonner de tels agissements. Une femme non voilée outrageant un lien sacré ! C’est impardonnable comme méfait ! Nous avons mis des jours et des nuits à réfléchir pour résoudre la question des femmes dans la mosquée. Il fallait trouver un emplacement judicieux pour réaliser un accès de telle manière qu’aucun croyant ne peut voir une femme entrer ou quitter la mosquée.
— Vous souvenez-vous de la fois où il y a eu coupure de courant ?
— Oui, mais l’exception confirmant la règle, il ne faut pas en faire tout un plat.

En effet, les croyantes, comme il sied de les appeler de ce côté-ci de la pensée, sont regroupées au premier étage dans un endroit strictement fermé pour accomplir la prière derrière l’imam, mais sans le voir et sans savoir ce qu’il fait. Elles doivent juste et seulement deviner les actions qu’il fait au grésillement du haut-parleur qui leur dilue sa parole. Les pauvres fidèles sont tributaires du son et de l’électricité. Justement, Yatima que le sentiment de piété avait poussé à rejoindre ces (ses) sœurs raconte une anecdote tellement édifiante. La malheureuse fut ce jour-là contrariée et choquée. Alors que l’assemblée féminine était prosternée, le courant électrique fut coupé par on ne sait quel agent, naturel ou surnaturel (Sonelgaz étant experte en la matière), les pauvres créatures ne surent comment poursuivre et conclure ; il s’en est suivi une véritable anarchie en pleine prière, des femmes appelant à se redresser, d’autres à arrêter de telle sorte qu’on vint aux mains et aux échauffourées. C’était la première et la dernière fois où Yatima la pieuse mit les pieds dans la mosquée de ce village aux antipodes de la vérité musulmane. Le lendemain Yatim dut s’approcher des membres de l’association religieuse pour s’enquérir de la situation et juger de l’incidence de l’événement. Il fut sidéré, car l’on trouvait normale et pas du tout grave une pareille confusion. Oui, c’était plus fort et cela pouvait arriver à n’importe quel moment. Un séisme, un tremblement, un volcan auraient généré le même climat, la même anarchie.

— Mais, pourquoi isoler et séparer coute que coute les femmes des hommes ? S’était insurgé Yatim.
— Pauvre malheureux ! Mais, c’est pour empêcher la « fitna » et éviter les clameurs dans la mosquée, car les femmes sont source de mal et d’excitation. On vient pour prier et non pour forniquer, Monsieur !
— En suivant le cheminement tant éclairé de votre pensée, on effectue le grand et le petit pèlerinage en forniquant, puisque les femmes mêlées aux hommes effectuent les rites sans aucune interdiction.
— Ah, non ! Ce n’est pas du tout pareil ! La Mecque étant un endroit sacré, les gens ne peuvent en aucun cas avoir ce genre de pensées.
— Oui, Monsieur l’Imam, c’est édifiant tout autant que terrifiant cet esprit si élaboré.

Finalement et tout compte fait, le sacré taleb n’a absolument pas tort eu égard à la fenêtre étroite de son esprit par laquelle il lorgne au-dehors. Il est tellement endoctriné qu’il ne peut enfreindre les enseignements qu’il a accumulés par différents canaux interposés. Il ne fait qu’appliquer la connaissance qui le conditionne non seulement à l’obéissance, mais aussi à la surveillance et au gardiennage.

En Algérie comme chacun le sait, les femmes ne pissent jamais en dehors du périmètre autorisé. Les malheureuses doivent prendre toutes leurs dispositions pour éviter tout picotement de vessie. La veille d’un voyage, Yatima, la moitié d’Yatim, s’abstient de boire plusieurs heures avant le départ. Elle n’avale aucun aliment contenant de l’eau à l’image des jus et des fruits. Avant de sortir, elle prend bien soin de visiter la salle d’eau pour se vider complètement. Elle doit mettre toutes les chances de son côté pour justement préserver sa pudicité. Chez nous, une femme est pudique par définition. Elle force tout son appareil urinaire à s’essorer jusqu’à la dernière goutte pour éviter tout dérangement. Et si par malheur, il lui arrive le contraire, elle utilise son répertoire où elle range différents médecins et docteurs. Oui, les officines médicales privées et les cabinets sont tout désignés pour sauver madame en cas de sédition de sa vessie rebelle. L’on s’inscrit sur la liste d’attente des patients et impatientes et le tour est joué. L’on profite alors de se soulager à l’insu de la petite infirmière qui ne voit que du feu. Une femme qui se respecte ne doit en aucun cas pisser en dehors des sentiers battus. Dans nos villes, même les machos trouvent des difficultés à trouver une vespasienne. Les petits endroits désirés sont soit fermés à clé comme c’est le cas dans les cafés, soit, inexistants comme c’est le cas à Œil de Rapace, la dévergondée. Le sexe mâle dispose de salles d’eau astreintes aux mosquées ; il en use à sa guise sans se soucier de son état, qu’il soit sale, propre ou impie.

— Monsieur l’imam, connaissez-vous le Yémen ?
— Qu’Allah me préserve du chaytane humain !
— Pourquoi ces rogations, l’imam ?
— Parce que le Yémen, c’est l’Iran.
— Et l’Iran est le Satan humain ?
— Oui, évidemment ! Les chiites sont des kouffars qu’il faut exterminer jusqu’au dernier.
— Quel expert en cartographie, tu fais ! Si je comprends bien et selon ta logique, L’Algérie, c’est aussi l’Arabie !
— Absolument ! Les sunnites sont les musulmans, ils sont donc frères unis dans et par la religion. Ah, si l’Algérie était saoudienne, nous aurions gagné d’office le quitus au paradis.
— Oui, mon ami, il faut œuvrer dans ce sens pour mériter une telle récompense, lui lança Yatim bouleversé de ce qu’il venait d’entendre.
— L’Arabie est une terre sacrée qu’il faut respecter, quelles que soient les circonstances. Les serviteurs des Lieux saints doivent être écoutés et obéis sans atermoiement ni ambiguïté.
— Où se trouve l’Arabie, Monsieur l’Imam ?
— Quelle question ! C’est évident, Yatim ! Elle se situe aux États-Unis.
— Tiens ! La petite dame est de retour, lança Dashti
— Hum ! Elle est toute gaie, ironisa Yatim.
— Je ne vous apprends rien si je vous dis que les meilleures choses au monde ont un rapport étroit avec, je m’excuse du terme, de la merde, dit-elle d’un air aussi docte que jovial.

Voyant que les hommes avaient perdu la langue et pour couper court à toute spéculation ou mauvaise interprétation, elle ajouta :
— Le meilleur habit est fait de soie, pourtant c’est de la merde ; le miel est aussi une autre merde et le meilleur repos qui soit, c’est lorsqu’on est dans le petit coin.
- C’est vraiment spirituel ! déclara Dashti.
— Connaissez-vous Palestine, Madame ?
— Et comment ! Elle est en page 15 du livre de géographie consacré à la deuxième année primaire. Je m’en souviendrai toujours, car elle m’a donné du fil à retordre.
— Plutôt du linge sale à laver en extrême urgence. Et qu’en est-il d’Israël, Madame ?
— Je n’en sais rien ! Est-ce un pays, un État ?
— Non, rien du tout ! Les arabo-islamo-salafo-wahabo-kalabo-terroristes l’ont rayé de la surface de la Terre à coups de bombes infographiques et de spots suicidaires. Plus royalistes que les cousins, ces hypocrites loyalistes sont en guerre cartographique permanente contre une Entité qu’ils reconnaissent de jure en réalité.
— Je m’en fiche ! Cela ne me regarde ni de près ni de loin, quoiqu’ils nous obligent à enseigner à nos enfants l’invraisemblable. La Palestine enseignée à Ramallah n’est pas identique à celle dispensée aux petits Algériens. Il y a une différence de taille avoisinant les quatre-vingts pour cent.
— C’est vous qui gérez ce portefeuille, alors assumez ou bien partez !
— Ah, c’est donc vous la juive responsable de l’alphabet ! Vous ne devriez pas être aux commandes d’un tel secteur. Il faut être algérien pour prétendre à une pareille fonction, intervint l’imam après avoir découvert l’Amérique en Algérie.

Plouc ! Comme un pavé dans la mare, le propos du « fkih » éclaboussa la petite assemblée. En Algérie l’on est expert à détecter non seulement l’identité, mais la confession aussi. Le détecteur est un sacré fouineur, il suffit d’un tout petit truc pour faire le raccourci. Selon l’idée maîtresse de cet esprit caporalisé, un juif et par extension un chrétien ou un athée ne peuvent être algériens. Tous les Algériens ne peuvent être que musulmans !

Alors que Benkebrit, l’imam et Dashti devenaient flous et vaporeux, la voix du muezzin appelant à la prière du petit matin s’invita dans le monde brouillé d’Yatim qui émergea de sa torpeur. »

 Yatima plongée encore dans un sommeil profond ronflait comme un gros bébé à côté de lui. D’un coup de coude bien ajusté, il la fit se réveiller :
— Lève-toi, ma jolie ! Le sobh nous surprend au lit ! Benkebrit et Dashti nous ont devancés.
— Benkebrit ? Dashti ? De quoi parles-tu, mon cher mari ?
— Efface, je n’ai rien dit !


Benaissa abdelkader in Dieu, Le Sable  et le Vent


Copyright © 2017 Benaissa Abdelkader


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lundi 5 juillet 2021

Le gros étron arabe

1.

On ne voit rien de noble, monsieur Larabe, dans cette arabité dont tu défends si bien les contours médiocres et alambiqués. Tu sièges au sommet de la bêtise de ce gros étron arabe que seuls les Bédouins mondanisés savent produire à longueur de temps. Il faut voir ces messieurs se trémousser quand ils se réunissent pour évincer, destituer et limoger à la six-quatre-deux, en jouissant à l’avance des conséquences terribles de leurs actions. Oui, monsieur le nobliau, l’organisation que tu couves dans le tissu grossier de la traîtrise trône au faîte de la couardise de ces régimes sévissant sur des peuples arabes en accaparant tant leurs contrées que leurs richesses. Ces milliardaires du désert que tu sers comme une valetaille pauvre et débile sont d’une latitude autre que celle que tu démembres et que tu prends du plaisir à désosser.

Vils et mesquins sont ces instants d’extrême lâcheté où la fameuse digue arabe cède sous la poussée de ses propres forces nauséabondes qui remontent en surface sans pudeur ni dignité !

Alors que l’esprit malmené de Yatim suivait le labyrinthe cotonneux et mystérieux du sommeil, son corps détaché descendait les marches nombreuses et glissantes de l’escalier menant à la salle de réunion de la Ligue arabe. Un borborygme confus et intermittent se faisait entendre et au fur et à mesure qu’il avançait, celui-ci s’accentuait. Il s’arrêta un instant, tendit l’oreille, scruta les lieux, mais ne put situer le râlement qui avait entre-temps disparu. Cependant, dès qu’il se remit en mouvement, le grognement résonna de nouveau. Yatim accéléra le pas ; il se mit à enjamber deux marches à la fois afin d’épingler le fauteur de trouble sinon démasquer la source du grommellement. Ce fut peine perdue, car sitôt arrivé dans le hall du bas, tout s’était estompé. Il ne demeurait que les battements rapides de son cœur et le chuintement de sa propre respiration. Le grand vestibule, largement ouvert, était vivement éclairé, mais absolument désert.

Ayant récupéré son souffle, Yatim s’immobilisa un instant dans le but de sonder le silence qui se creusait davantage en s’inscrivant dans la durée. Aucun bruit ne vint troubler la quiétude du moment et Yatim se mit à se poser des questions auxquelles il ne trouva guère de réponses. Il ne savait même pas pourquoi il était là ; il ne connaissait pas les raisons qui l’avaient poussé à fouler le sol de ces lieux aux murs impersonnels et froids. Soudain, il sentit son corps se raidir, sa nuque devenir roide et ses jambes s’alourdir. Une certaine inquiétude s’empara de lui et la peur s’installa dans son cœur. Il décida alors de s’enfuir. À peine eut-il réussi, non sans effort, à faire un quart de tour dans le but de rebrousser chemin qu’une main robuste s’abattit sur son épaule. Stupéfait, il fit volte-face en criant de toutes ses forces, mais aucun cri ne fusa de sa bouche ankylosée. Une femme d’un certain âge vêtue d’une robe traditionnelle arabe se tenait là, à quelques pas de lui. Il la reconnut aussitôt. La Palestine en dame grosse à la manière de la « mama » arabe le regardait d’un air grave avec ses yeux étincelants.
 Pourquoi ce regard foudroyant, ma pauvre Palestine ? Lui dit-il du haut de sa folie.
 Tu oses encore parler, fanfaron ?
 Dans ce fatras universel, je n’ai que toi, ma chérie.
 Ne redis jamais une telle sottise ! Je t’interdis de m’appeler ainsi !
 Mais, belle Palestine ! Je suis ton enfant, le seul qui t’aime vraiment.
 Mon œil, oui ! Tu as trahi le serment de l’arabité et le testament de Salah Eddine Al-Ayoubi le chevaleresque, le magnanime, le majestueux.
 Non, mon amie, tu me fais porter un bien grand chapeau pour ma tête menue et comme Dieu dans sa bonté ne charge une âme que selon ses capacités, j’emprunte le chemin tout tracé de ma destinée.
 Laisse le destin se reposer, le pauvre a toujours bon dos pour justifier l’ignorance, l’incapacité et l’impéritie.
 La providence m’accapare, me pétrit et me façonne au moule de ma fatalité, mais dans ma peine pleine de nostalgie, je ressens une langueur infinie. Je désire remonter le temps, plier les pages de l’histoire que ma tristesse feuillette sur les murs creux de la vie entre Nahr al Litani et Nahr al Falak.

J’entends le Jourdain dévoiler le secret aux montagnes préhistoriques de part et d’autre de la riche vallée au-delà de l’âge fou de Sodome et Gomorrhe. Je revois la splendide Haïfa où mon cœur fêlé mouille ses premiers pleurs et les pieds dans l’eau, je respire cet air doux et éphémère des senteurs lointaines de la mer. Sur le sable blond de mon imagination, je dessine la fière Galilée où mes rêves éperdus courtisent l’espoir au firmament bleu des horizons enflammés. La raison, déroutée par la chevauchée fantastique des siècles fabuleux, bivouaque à l’orée du lac Tibériade où mon esprit taraudé s’éprend de la richesse immense de la belle Phénicie. D’Akka à Naplouse où mon cœur plus musicien que le vent accorde ses violons sur le formidable mont du Carmel surplombant la baie superbe de Haïfa. Je déplore le malheur guettant Al-Qods, la source de mon sang où mon âme se régénère en écoutant la psalmodie du temps raconter l’histoire millénaire d’une terre aussi précieuse que sacrée. La Palestine antique et séculaire se plaint de la morsure indélébile du temps et des idées imbéciles de ses garçons encore adolescents. Je t’aime de cet amour vrai et profond, de celui qui unit une mère à son enfant.
 Je saigne à flots et je pleure à torrents. Mon corps que l’immaturité et l’infantilisme de mes enfants rendent exsangue se lamente au flamenco des chiens de cette géographie qui me porte. Je tète malgré mon sevrage l’âge pourri de son sein jadis nourricier.
 Oui, mère ! Je sens ta douleur et tes propos amers me vriller à l’intérieur. Je regrette le temps où toi et moi, à l’unisson, chantions la vie, la mort aussi.
 Tes aïeux, comme nos origines, sont arabes. La terre qui nous nourrit et que nous avons toujours trahie est arabe ; le ciel qui nous couvre est arabe ; l’air que nous respirons est arabe ; les oiseaux, les poissons, les fleurs ainsi que nos jardins sont arabes… La langue, les mots et leurs tournures, le verbe et ses moutures sont arabes… Les femmes, les hommes, les jeunes, les adultes sont arabes… Les vaches, les moutons et les chameaux sont arabes… Cependant, nos gouvernants, hélas, ne sont pas arabes.
 Hein ? Tu m’en apprends, maman !
 Oui, mon cher enfant, il est temps pour que tu sois grand. Tu dois tout savoir maintenant.
 Notre passé lourd me fatigue et le présent maudit me détruit. Quant au futur que je vois obscur, il m’ôte l’envie d’exister.
 Le monde arabe est cuit de l’Égypte à l’Arabie et de tout ce fatras, il ne demeure que l’Algérie et la Syrie. L’une est handicapée et l’autre est démolie.
 C’en est fini de nous, ô, ma brave Palestine ?
 Au nom de celui qui détient la royauté sur les Terres et les Cieux, tu périras lâche et perfide tant que tu n’auras pas orienté ton cœur en direction du Seigneur Dieu.
 Arrête s’il te plait de remuer le couteau dans la plaie, tu n’es pas étrangère à ma tragédie. Tu n’as pas su te hisser à la hauteur de mon amour. D’ailleurs, je te le dédie toujours, car comme tu le sais, je suis un enfant reconnaissant. Bienfaisant, je ne pourrais en aucun cas nuire ni me soustraire au dévouement de mes parents.
 Mon cœur est tout de loyauté et mon lait nutritif est le fruit de mon sang pur. Mon corps est aussi vaste qu’un pays, mais mes prairies ne sont nourricières que pour mes douces brebis.
 Je saurais me défaire de ce lourd fardeau qui handicape gravement mon esprit et laver mon cerveau à la source de ton eau authentique et vraie pour que tu puisses enfin sourire à la vie.
 Non, tu ne pourras jamais reconquérir les hameaux que tu as perdus tant qu’hypocrite, tu te dis Al-Arabi. Et tant que tu cautionnes cette Ligue où se regroupent les malfrats d’Arabie, les chacals, les loups et les khenzirs arabes, tu ne pourras prétendre ni à un liséré de paix ni à un ersatz de paradis.
 J’ai été toujours induit en erreur par ces rejetons, ces faux frères qui vendent mon nom au marché sale de la surenchère.
 La vie ne fait pas de cadeaux et le temps ne fait pas de crédit, mon petit. Il faut savoir quitter la table avant qu’elle ne soit desservie.
 Le navire arabe atteint juste au niveau de la ligne de flottaison tangue dangereusement. Il coule doucement avec toute la cargaison à son bord. Les messieurs d’abord ! Les dames peuvent mourir à loisir en regardant périr leur progéniture sous les spots publicitaires d’un monde pourri et prévaricateur.
 Malgré la déliquescence de mon âme, mon gros problème demeure le Sham. Dieu m’en préserve, s’il décline, c’est ma mort certaine ! Alors, va de ce pas mon petit ! Qu’Allah éclaire ton chemin ! Pars et ne te retourne pas ! La Syrie comme la Palestine a besoin de sang et le tien, si bien gardé, est très indiqué pour ce pays-là.
 Oui, Madame ! Je saurais dresser les vents, redresser la barre, souquer ferme jusqu’à atteindre le tirant et vaincre les ténèbres houleuses de ce monstrueux océan. J’irais à la première heure avant le lever du matin, surprendre le soleil dans ses vagissements et mouiller ses pleurs dans la soie lactée de mon sein, afin qu’il éclaire d’un jour nouveau ma belle contrée.
 Qu’Allah le Tout-Puissant bénisse tes mots et tes agissements ! Je te déclare martyr dans ma profonde conviction en te donnant en pâture à mes sempiternelles illusions. Je rêve de te voir mort à l’autel du sacrifice pour la cause de la Nation. Dans le désespoir qui ne cesse de broyer ma vie, je t’espère à la hauteur de notre contrat. Quant à moi, ma foi, je n’ai que le souffle pour accompagner le vent afin de tresser le chant de notre hymne, de notre vie, sur la robe précieuse de notre chère patrie.

Yatim se réveille en sursaut et tout en sueur ; il ne comprend pas ce qu’il lui arrive ces derniers temps. Chaque fois, il fait le même rêve qui prend parfois des allures de cauchemar. Il jette un regard sur sa femme endormie à côté de lui, sa respiration régulière et paisible le rassure. Yatima, de nature gentille et calme, dort toujours à poings fermés. Depuis qu’ils se sont mariés, elle ne lui a jamais posé de problèmes sérieux. Simple et docile, elle se plie volontiers aux vœux de son mari qui l’aime et la respecte aussi.

La vue de sa moitié recroquevillée comme un bébé le rassérène quelque peu et l’attendrit. Il esquisse un sourire sur le corps de la nuit qui les habille. Subrepticement, il quitte son lit, rejoint la cuisine sur le bout des pieds. Là, il s’asperge le visage à même le lavabo, avale trois lampées d’eau avant de se mettre à table devant son fameux registre où il annote ses fréquentes introspections. Il ferme un instant les yeux, les ouvre, se saisit de sa plume qui se laisse couler sur la substance blanche de la page qui répond favorablement. Il écrit :
La digue arabe
 Allô, mademoiselle ? Je vous prie, passez-moi Alger ! Faites vite, je suis un pressé ! Oui ? Alger, la « blange » ?
 Monsieur, je suis désolée, elle n’est plus abonnée. Son contrat est terminé !
 Comment ? Alger ne répond plus ?

Avant, elle était blanche, mais elle est devenue « blange ». C’est un dérivatif de boulangerie, car les « blangerois » ne vivent que pour « blanger ». Cela veut dire manger du pain à l’œil, cela va de soi, sans jamais fournir une baguette de travail. On les appelle aussi les « khobzistes », c’est du pareil au même, parce que « khobza » et pain sont cousins germains. Néanmoins Alger est très gentille ; elle n’est plus méchante. Son fils le plus dangereux a été mis hors d’état de cuire et pour lui donner du croûton, on vient de lui proposer une daube nationale : la réconciliation de l’eau et du feu pour faire un pain, moitié loup et moitié brebis. L’on vient de sauver en tout cas la bergerie. Vive le méchoui !
 OK ! Mademoiselle, passez-moi Le Caire, s’il vous plait ! C’est important que je vous dise !
 Un instant, monsieur ! Ne coupez pas ! Allô ? Parlez, s’il vous plait !
 Allô, allô, allô ? Le Caire ? Zut ! La ligne est coupée ! Ah non, OK ! Comment, ce n’est pas Le Caire ? Ah, c’est Riad ! C’est le summum du rire ! Elle est bonne, celle-là ! On ne vous trouve que lorsqu’on ne vous cherche pas ! Le pire, non seulement c’est un désert, mais ses citoyens sont tous rois ou émirs : le reste, c’est la population. Ma foi, il ne faut point s’étonner que Ben Laden soit à la tête d’un empire !
— N’empêche… Allô ? Riad ? Je veux juste… Zut ! C’est encore coupé !
 Allô ? Ouiii ? Rabat ? Je n’ai pas demandé Rabat… Tout de même… !
 De toute façon, il faut faire avec. Allô ? Rabat ? Je désire… Il n’y a pas moyen, la ligne est très mauvaise. Rabat c’est à la mesure du sabbat à l’image de « mon ami le roi ». Tazmamart n’est qu’un point obscur dans la vie et le Sahara est plus marocain que Sebta et Melilla ! — Allô, mademoiselle ? Qu’est-ce qui se passe chez vous, enfin ? Il n’y a pas un pays arabe de libre ? Comment ? Comment ? C’est ma faute ? Je ne sais pas ce que je veux ? Mais vous êtes malade ! Je vous demande de me passer ceci, vous faites cela ! Finalement, c’est du travail arabe ! Pardon ? Vous avez Damas en ligne ? Pas de problème, allons-y pour Damas du moment que ça répond.

 Allô ? Damas ? Non ! Ici, c’est Beyrouth ! On vous entend déjà si mal ! Vous téléphonez de loin ? Quoi ? Je ne sais pas ce que vous… Merde ! Qui c’est qui fait des fritures ? Ce n’est pas l’heure de la bouffe ! Allez, oust, les patates ! Et que ça saute ! Justement, les patates sautées ça me fait rappeler ma grand-mère, elle disait souvent qu’elles valent mieux qu’une grenade ou un pain d’Alep. Ah, Dimachk ! C’est la vie de château avec ou sans plateau. Les mots sont faits pour nos ouailles.
 La guerre ? Oui ! C’est aussi pour nos ouailles. Tu sais, mon frère, nous voulons la paix et uniquement la paix. Alors frère, du balai !
 Les fritures sur la ligne ? C’est le propre de la ligue arabe ! Ils se sont ligués contre un seul pays ! Leur seul ennemi juré dans le coin, vous avez deviné, j’ai nommé : Palestine. Et puis, la ligue active dans l’arabisme et le panarabisme. La ligue borgne ne lorgne que d’un côté. Sa règle première c’est de ne jamais être d’accord. Et s’il arrive qu’il y ait consensus, il y a toujours des ténors pour remettre le tapis. On y mange, on y boit et on y dort. On ne sortira jamais de l’auberge. Vive le resto arabe !
 Allô ? Re allô ? Oui, cela ne fait rien ! Passez-moi Bagdad si vous l’avez en ligne ! Vous ne l’avez plus ? Quoi ? Elle est occupée ! Oui, il parait qu’elle est devenue yankee. Elle refuse le credo arabe. Elle veut se « samifier » une fois pour toutes. Je crois que ce n’est pas de sa faute, c’est celle de la ligue. Elle avait son panier troué et l’Irak est tellement lourd qu’il est passé outre le Koweït, le petit américain de l’arabité. Il est aussi grand que sa capitale et il pète très haut beaucoup plus qu’à l’horizontale ! On y voit même les flammes de ses flatulences de loin. Et puis, il faut savoir que la bannière étoilée a besoin d’étoiles pour que son ciel soit beaucoup plus éclairé. Le Moyen-Orient est la seule lumière qui lui sied. C’est de bonne guerre que l’Irak soit là, dans la mêlée. Les autres attendront. Leur tour viendra sûrement. L’un après l’autre, ils seront enfin réunis ! Chouette une nouvelle ligue arabe en ligne ! Ah ! Maintenant, je comprends pourquoi tous les Arabes sont aux abonnés absents ! C’est qu’on est en train de changer les lignes !
 Allô ? Allô ? Voilà ! C’est toujours occupé ! On l’est constamment de ce côté-ci.
 Ôtez ces hirondelles, pardon, ces pingouins blancs sur les câbles que je ne saurais voir ! Vous verrez, la parole passera mieux ! Écoutez ! Vous n’êtes qu’une préposée ! J’irai me plaindre ! Là-haut, on m’écoutera certainement ! Mais, avant, je dois câbler à Tripoli. Allô, trois fois polie et toutes les autres fois impôt lie ! Je veux une table ronde ! Vous regrettez ? Je dois voir avec Tunis ? OK ! Zéro poli.
 Allô ? Tunis ? La verte olive qu’il ne faut presser qu’une fois mûre ! Je voudrais une table ronde. Comment ? Comment ronde ? Eh bien, comme une table. Oui, rectangulaire, mais ronde comme une salle pour parler de l’Arabie. Vous n’avez pas ce genre d’objet ? Je dois voir du côté de Palestine ? J’ai essayé, elle est tout le temps occupée ! Chut ! Ne divulguez pas le secret ! C’est elle la brebis !
 Eh, bien secret pour secret, je ne suis pas mademoiselle ! Je suis monsieur Israël. Et sachez que depuis tout à l’heure vous n’appelez qu’en « Payez chez nous ! »
Copyright © 2017 Benaissa Abdelkader
Tous droits réservés.

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