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lundi 5 juillet 2021

Le gros étron arabe

1.

On ne voit rien de noble, monsieur Larabe, dans cette arabité dont tu défends si bien les contours médiocres et alambiqués. Tu sièges au sommet de la bêtise de ce gros étron arabe que seuls les Bédouins mondanisés savent produire à longueur de temps. Il faut voir ces messieurs se trémousser quand ils se réunissent pour évincer, destituer et limoger à la six-quatre-deux, en jouissant à l’avance des conséquences terribles de leurs actions. Oui, monsieur le nobliau, l’organisation que tu couves dans le tissu grossier de la traîtrise trône au faîte de la couardise de ces régimes sévissant sur des peuples arabes en accaparant tant leurs contrées que leurs richesses. Ces milliardaires du désert que tu sers comme une valetaille pauvre et débile sont d’une latitude autre que celle que tu démembres et que tu prends du plaisir à désosser.

Vils et mesquins sont ces instants d’extrême lâcheté où la fameuse digue arabe cède sous la poussée de ses propres forces nauséabondes qui remontent en surface sans pudeur ni dignité !

Alors que l’esprit malmené de Yatim suivait le labyrinthe cotonneux et mystérieux du sommeil, son corps détaché descendait les marches nombreuses et glissantes de l’escalier menant à la salle de réunion de la Ligue arabe. Un borborygme confus et intermittent se faisait entendre et au fur et à mesure qu’il avançait, celui-ci s’accentuait. Il s’arrêta un instant, tendit l’oreille, scruta les lieux, mais ne put situer le râlement qui avait entre-temps disparu. Cependant, dès qu’il se remit en mouvement, le grognement résonna de nouveau. Yatim accéléra le pas ; il se mit à enjamber deux marches à la fois afin d’épingler le fauteur de trouble sinon démasquer la source du grommellement. Ce fut peine perdue, car sitôt arrivé dans le hall du bas, tout s’était estompé. Il ne demeurait que les battements rapides de son cœur et le chuintement de sa propre respiration. Le grand vestibule, largement ouvert, était vivement éclairé, mais absolument désert.

Ayant récupéré son souffle, Yatim s’immobilisa un instant dans le but de sonder le silence qui se creusait davantage en s’inscrivant dans la durée. Aucun bruit ne vint troubler la quiétude du moment et Yatim se mit à se poser des questions auxquelles il ne trouva guère de réponses. Il ne savait même pas pourquoi il était là ; il ne connaissait pas les raisons qui l’avaient poussé à fouler le sol de ces lieux aux murs impersonnels et froids. Soudain, il sentit son corps se raidir, sa nuque devenir roide et ses jambes s’alourdir. Une certaine inquiétude s’empara de lui et la peur s’installa dans son cœur. Il décida alors de s’enfuir. À peine eut-il réussi, non sans effort, à faire un quart de tour dans le but de rebrousser chemin qu’une main robuste s’abattit sur son épaule. Stupéfait, il fit volte-face en criant de toutes ses forces, mais aucun cri ne fusa de sa bouche ankylosée. Une femme d’un certain âge vêtue d’une robe traditionnelle arabe se tenait là, à quelques pas de lui. Il la reconnut aussitôt. La Palestine en dame grosse à la manière de la « mama » arabe le regardait d’un air grave avec ses yeux étincelants.
 Pourquoi ce regard foudroyant, ma pauvre Palestine ? Lui dit-il du haut de sa folie.
 Tu oses encore parler, fanfaron ?
 Dans ce fatras universel, je n’ai que toi, ma chérie.
 Ne redis jamais une telle sottise ! Je t’interdis de m’appeler ainsi !
 Mais, belle Palestine ! Je suis ton enfant, le seul qui t’aime vraiment.
 Mon œil, oui ! Tu as trahi le serment de l’arabité et le testament de Salah Eddine Al-Ayoubi le chevaleresque, le magnanime, le majestueux.
 Non, mon amie, tu me fais porter un bien grand chapeau pour ma tête menue et comme Dieu dans sa bonté ne charge une âme que selon ses capacités, j’emprunte le chemin tout tracé de ma destinée.
 Laisse le destin se reposer, le pauvre a toujours bon dos pour justifier l’ignorance, l’incapacité et l’impéritie.
 La providence m’accapare, me pétrit et me façonne au moule de ma fatalité, mais dans ma peine pleine de nostalgie, je ressens une langueur infinie. Je désire remonter le temps, plier les pages de l’histoire que ma tristesse feuillette sur les murs creux de la vie entre Nahr al Litani et Nahr al Falak.

J’entends le Jourdain dévoiler le secret aux montagnes préhistoriques de part et d’autre de la riche vallée au-delà de l’âge fou de Sodome et Gomorrhe. Je revois la splendide Haïfa où mon cœur fêlé mouille ses premiers pleurs et les pieds dans l’eau, je respire cet air doux et éphémère des senteurs lointaines de la mer. Sur le sable blond de mon imagination, je dessine la fière Galilée où mes rêves éperdus courtisent l’espoir au firmament bleu des horizons enflammés. La raison, déroutée par la chevauchée fantastique des siècles fabuleux, bivouaque à l’orée du lac Tibériade où mon esprit taraudé s’éprend de la richesse immense de la belle Phénicie. D’Akka à Naplouse où mon cœur plus musicien que le vent accorde ses violons sur le formidable mont du Carmel surplombant la baie superbe de Haïfa. Je déplore le malheur guettant Al-Qods, la source de mon sang où mon âme se régénère en écoutant la psalmodie du temps raconter l’histoire millénaire d’une terre aussi précieuse que sacrée. La Palestine antique et séculaire se plaint de la morsure indélébile du temps et des idées imbéciles de ses garçons encore adolescents. Je t’aime de cet amour vrai et profond, de celui qui unit une mère à son enfant.
 Je saigne à flots et je pleure à torrents. Mon corps que l’immaturité et l’infantilisme de mes enfants rendent exsangue se lamente au flamenco des chiens de cette géographie qui me porte. Je tète malgré mon sevrage l’âge pourri de son sein jadis nourricier.
 Oui, mère ! Je sens ta douleur et tes propos amers me vriller à l’intérieur. Je regrette le temps où toi et moi, à l’unisson, chantions la vie, la mort aussi.
 Tes aïeux, comme nos origines, sont arabes. La terre qui nous nourrit et que nous avons toujours trahie est arabe ; le ciel qui nous couvre est arabe ; l’air que nous respirons est arabe ; les oiseaux, les poissons, les fleurs ainsi que nos jardins sont arabes… La langue, les mots et leurs tournures, le verbe et ses moutures sont arabes… Les femmes, les hommes, les jeunes, les adultes sont arabes… Les vaches, les moutons et les chameaux sont arabes… Cependant, nos gouvernants, hélas, ne sont pas arabes.
 Hein ? Tu m’en apprends, maman !
 Oui, mon cher enfant, il est temps pour que tu sois grand. Tu dois tout savoir maintenant.
 Notre passé lourd me fatigue et le présent maudit me détruit. Quant au futur que je vois obscur, il m’ôte l’envie d’exister.
 Le monde arabe est cuit de l’Égypte à l’Arabie et de tout ce fatras, il ne demeure que l’Algérie et la Syrie. L’une est handicapée et l’autre est démolie.
 C’en est fini de nous, ô, ma brave Palestine ?
 Au nom de celui qui détient la royauté sur les Terres et les Cieux, tu périras lâche et perfide tant que tu n’auras pas orienté ton cœur en direction du Seigneur Dieu.
 Arrête s’il te plait de remuer le couteau dans la plaie, tu n’es pas étrangère à ma tragédie. Tu n’as pas su te hisser à la hauteur de mon amour. D’ailleurs, je te le dédie toujours, car comme tu le sais, je suis un enfant reconnaissant. Bienfaisant, je ne pourrais en aucun cas nuire ni me soustraire au dévouement de mes parents.
 Mon cœur est tout de loyauté et mon lait nutritif est le fruit de mon sang pur. Mon corps est aussi vaste qu’un pays, mais mes prairies ne sont nourricières que pour mes douces brebis.
 Je saurais me défaire de ce lourd fardeau qui handicape gravement mon esprit et laver mon cerveau à la source de ton eau authentique et vraie pour que tu puisses enfin sourire à la vie.
 Non, tu ne pourras jamais reconquérir les hameaux que tu as perdus tant qu’hypocrite, tu te dis Al-Arabi. Et tant que tu cautionnes cette Ligue où se regroupent les malfrats d’Arabie, les chacals, les loups et les khenzirs arabes, tu ne pourras prétendre ni à un liséré de paix ni à un ersatz de paradis.
 J’ai été toujours induit en erreur par ces rejetons, ces faux frères qui vendent mon nom au marché sale de la surenchère.
 La vie ne fait pas de cadeaux et le temps ne fait pas de crédit, mon petit. Il faut savoir quitter la table avant qu’elle ne soit desservie.
 Le navire arabe atteint juste au niveau de la ligne de flottaison tangue dangereusement. Il coule doucement avec toute la cargaison à son bord. Les messieurs d’abord ! Les dames peuvent mourir à loisir en regardant périr leur progéniture sous les spots publicitaires d’un monde pourri et prévaricateur.
 Malgré la déliquescence de mon âme, mon gros problème demeure le Sham. Dieu m’en préserve, s’il décline, c’est ma mort certaine ! Alors, va de ce pas mon petit ! Qu’Allah éclaire ton chemin ! Pars et ne te retourne pas ! La Syrie comme la Palestine a besoin de sang et le tien, si bien gardé, est très indiqué pour ce pays-là.
 Oui, Madame ! Je saurais dresser les vents, redresser la barre, souquer ferme jusqu’à atteindre le tirant et vaincre les ténèbres houleuses de ce monstrueux océan. J’irais à la première heure avant le lever du matin, surprendre le soleil dans ses vagissements et mouiller ses pleurs dans la soie lactée de mon sein, afin qu’il éclaire d’un jour nouveau ma belle contrée.
 Qu’Allah le Tout-Puissant bénisse tes mots et tes agissements ! Je te déclare martyr dans ma profonde conviction en te donnant en pâture à mes sempiternelles illusions. Je rêve de te voir mort à l’autel du sacrifice pour la cause de la Nation. Dans le désespoir qui ne cesse de broyer ma vie, je t’espère à la hauteur de notre contrat. Quant à moi, ma foi, je n’ai que le souffle pour accompagner le vent afin de tresser le chant de notre hymne, de notre vie, sur la robe précieuse de notre chère patrie.

Yatim se réveille en sursaut et tout en sueur ; il ne comprend pas ce qu’il lui arrive ces derniers temps. Chaque fois, il fait le même rêve qui prend parfois des allures de cauchemar. Il jette un regard sur sa femme endormie à côté de lui, sa respiration régulière et paisible le rassure. Yatima, de nature gentille et calme, dort toujours à poings fermés. Depuis qu’ils se sont mariés, elle ne lui a jamais posé de problèmes sérieux. Simple et docile, elle se plie volontiers aux vœux de son mari qui l’aime et la respecte aussi.

La vue de sa moitié recroquevillée comme un bébé le rassérène quelque peu et l’attendrit. Il esquisse un sourire sur le corps de la nuit qui les habille. Subrepticement, il quitte son lit, rejoint la cuisine sur le bout des pieds. Là, il s’asperge le visage à même le lavabo, avale trois lampées d’eau avant de se mettre à table devant son fameux registre où il annote ses fréquentes introspections. Il ferme un instant les yeux, les ouvre, se saisit de sa plume qui se laisse couler sur la substance blanche de la page qui répond favorablement. Il écrit :
La digue arabe
 Allô, mademoiselle ? Je vous prie, passez-moi Alger ! Faites vite, je suis un pressé ! Oui ? Alger, la « blange » ?
 Monsieur, je suis désolée, elle n’est plus abonnée. Son contrat est terminé !
 Comment ? Alger ne répond plus ?

Avant, elle était blanche, mais elle est devenue « blange ». C’est un dérivatif de boulangerie, car les « blangerois » ne vivent que pour « blanger ». Cela veut dire manger du pain à l’œil, cela va de soi, sans jamais fournir une baguette de travail. On les appelle aussi les « khobzistes », c’est du pareil au même, parce que « khobza » et pain sont cousins germains. Néanmoins Alger est très gentille ; elle n’est plus méchante. Son fils le plus dangereux a été mis hors d’état de cuire et pour lui donner du croûton, on vient de lui proposer une daube nationale : la réconciliation de l’eau et du feu pour faire un pain, moitié loup et moitié brebis. L’on vient de sauver en tout cas la bergerie. Vive le méchoui !
 OK ! Mademoiselle, passez-moi Le Caire, s’il vous plait ! C’est important que je vous dise !
 Un instant, monsieur ! Ne coupez pas ! Allô ? Parlez, s’il vous plait !
 Allô, allô, allô ? Le Caire ? Zut ! La ligne est coupée ! Ah non, OK ! Comment, ce n’est pas Le Caire ? Ah, c’est Riad ! C’est le summum du rire ! Elle est bonne, celle-là ! On ne vous trouve que lorsqu’on ne vous cherche pas ! Le pire, non seulement c’est un désert, mais ses citoyens sont tous rois ou émirs : le reste, c’est la population. Ma foi, il ne faut point s’étonner que Ben Laden soit à la tête d’un empire !
— N’empêche… Allô ? Riad ? Je veux juste… Zut ! C’est encore coupé !
 Allô ? Ouiii ? Rabat ? Je n’ai pas demandé Rabat… Tout de même… !
 De toute façon, il faut faire avec. Allô ? Rabat ? Je désire… Il n’y a pas moyen, la ligne est très mauvaise. Rabat c’est à la mesure du sabbat à l’image de « mon ami le roi ». Tazmamart n’est qu’un point obscur dans la vie et le Sahara est plus marocain que Sebta et Melilla ! — Allô, mademoiselle ? Qu’est-ce qui se passe chez vous, enfin ? Il n’y a pas un pays arabe de libre ? Comment ? Comment ? C’est ma faute ? Je ne sais pas ce que je veux ? Mais vous êtes malade ! Je vous demande de me passer ceci, vous faites cela ! Finalement, c’est du travail arabe ! Pardon ? Vous avez Damas en ligne ? Pas de problème, allons-y pour Damas du moment que ça répond.

 Allô ? Damas ? Non ! Ici, c’est Beyrouth ! On vous entend déjà si mal ! Vous téléphonez de loin ? Quoi ? Je ne sais pas ce que vous… Merde ! Qui c’est qui fait des fritures ? Ce n’est pas l’heure de la bouffe ! Allez, oust, les patates ! Et que ça saute ! Justement, les patates sautées ça me fait rappeler ma grand-mère, elle disait souvent qu’elles valent mieux qu’une grenade ou un pain d’Alep. Ah, Dimachk ! C’est la vie de château avec ou sans plateau. Les mots sont faits pour nos ouailles.
 La guerre ? Oui ! C’est aussi pour nos ouailles. Tu sais, mon frère, nous voulons la paix et uniquement la paix. Alors frère, du balai !
 Les fritures sur la ligne ? C’est le propre de la ligue arabe ! Ils se sont ligués contre un seul pays ! Leur seul ennemi juré dans le coin, vous avez deviné, j’ai nommé : Palestine. Et puis, la ligue active dans l’arabisme et le panarabisme. La ligue borgne ne lorgne que d’un côté. Sa règle première c’est de ne jamais être d’accord. Et s’il arrive qu’il y ait consensus, il y a toujours des ténors pour remettre le tapis. On y mange, on y boit et on y dort. On ne sortira jamais de l’auberge. Vive le resto arabe !
 Allô ? Re allô ? Oui, cela ne fait rien ! Passez-moi Bagdad si vous l’avez en ligne ! Vous ne l’avez plus ? Quoi ? Elle est occupée ! Oui, il parait qu’elle est devenue yankee. Elle refuse le credo arabe. Elle veut se « samifier » une fois pour toutes. Je crois que ce n’est pas de sa faute, c’est celle de la ligue. Elle avait son panier troué et l’Irak est tellement lourd qu’il est passé outre le Koweït, le petit américain de l’arabité. Il est aussi grand que sa capitale et il pète très haut beaucoup plus qu’à l’horizontale ! On y voit même les flammes de ses flatulences de loin. Et puis, il faut savoir que la bannière étoilée a besoin d’étoiles pour que son ciel soit beaucoup plus éclairé. Le Moyen-Orient est la seule lumière qui lui sied. C’est de bonne guerre que l’Irak soit là, dans la mêlée. Les autres attendront. Leur tour viendra sûrement. L’un après l’autre, ils seront enfin réunis ! Chouette une nouvelle ligue arabe en ligne ! Ah ! Maintenant, je comprends pourquoi tous les Arabes sont aux abonnés absents ! C’est qu’on est en train de changer les lignes !
 Allô ? Allô ? Voilà ! C’est toujours occupé ! On l’est constamment de ce côté-ci.
 Ôtez ces hirondelles, pardon, ces pingouins blancs sur les câbles que je ne saurais voir ! Vous verrez, la parole passera mieux ! Écoutez ! Vous n’êtes qu’une préposée ! J’irai me plaindre ! Là-haut, on m’écoutera certainement ! Mais, avant, je dois câbler à Tripoli. Allô, trois fois polie et toutes les autres fois impôt lie ! Je veux une table ronde ! Vous regrettez ? Je dois voir avec Tunis ? OK ! Zéro poli.
 Allô ? Tunis ? La verte olive qu’il ne faut presser qu’une fois mûre ! Je voudrais une table ronde. Comment ? Comment ronde ? Eh bien, comme une table. Oui, rectangulaire, mais ronde comme une salle pour parler de l’Arabie. Vous n’avez pas ce genre d’objet ? Je dois voir du côté de Palestine ? J’ai essayé, elle est tout le temps occupée ! Chut ! Ne divulguez pas le secret ! C’est elle la brebis !
 Eh, bien secret pour secret, je ne suis pas mademoiselle ! Je suis monsieur Israël. Et sachez que depuis tout à l’heure vous n’appelez qu’en « Payez chez nous ! »
Copyright © 2017 Benaissa Abdelkader
Tous droits réservés.

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