Je viens de repasser mon bachot et ne suis pas sûr de l’obtenir. Il y régnait une ambiance électrique pleine de doute et de suspicion. Un climat tendu où surveillants et candidats étaient aux aguets. Repasser ? Non, c’est trop dire, car je viens de rater la deuxième session encore. En effet, ayant été invité par des amis à un anniversaire et comme je suis friand de bruits et de vacarmes, j’ai passé toute la nuit à réviser et j’ai réussi la rude épreuve des décibels ; en prévision de la période des vaches maigres, j’en ai emmagasiné une belle quantité dans ma pauvre tête sévèrement sollicitée. Je ne m’inquiète nullement des sarcasmes si jamais je n’arrive pas à me lever. C’était la période du mois sacré et l’on veillait la nuit jusqu’au lever du jour pour demeurer endormi toute la journée. J’ai déjà à mon actif la première session que j’ai volontairement ratée pour cause d’incapacité morale et intellectuelle. Cependant, c’était sans compter l’opiniâtreté de notre gouvernement et l’ingéniosité du ministère de l’Éducation. À malin, malin et demi, disait le manifeste républicain. Toutefois, je ne me déclare pas vaincu pour autant. Qu’ils pétrissent une galette trop fine, j’en mange doublement !
En attendant, je n’ai d’autre solution face à l’entêtement de la République que l’abdication. Je dois plier à la volonté étatique et donc repasser le bac malgré moi. Finalement, ce que je ne craignais pas est arrivé. Oui, le réveil avait beau claironner, je ne me suis pas levé à temps pour prendre le bus. Je devais me rendre au lycée qui se trouvait juste à côté pour faire valoir mes capacités. Apparemment, les gens de l’éducation le faisaient exprès. Ils avaient sciemment choisi le centre d’examen juste à un pâté de maisons de notre cheminée de telle sorte que je ne pouvais m’y dérober. Merde, remerde et mille fois encore merde ! Pourquoi cette ministre étrangère à mon arabité s’entête-t-elle à semer la pagaille dans mon quotidien tout HTM ? Je ne suis qu’une herbacée ne cherchant nullement midi à quatorze heures. Qu’on me laisse juste poinçonner à mes heures sans me déranger, mes rêves étant plus importants que leurs cauchemars. Qu’on me laisse respirer comme une plante d’ornement sur la croisée du temps. Celui-ci me fait bigrement défaut à l’heure qu’il est, il file à tout instant au creux de mon oreiller.
Lors de la première session, je dus prendre mon mal en patience. Tôt le matin, vers les 8 heures, je fus obligé d’écourter la grâce-matinée obligatoire. Ayant rejoint mon lit à 4,30 du matin, j’eus beaucoup de mal à me réveiller. Ramadan aidant, j’eus du mal à m’habiller convenablement. Enfin, la rue m’aspira dans la foule et dans la foulée. L’abribus était, là, noir de monde, mais le bus n’y était pas. Dix minutes plus tard, pris en sandwich, je roulais des épaules au milieu d’une masse compacte et anonyme. Avancez à l’arrière criait le receveur aux gens qui reculaient en avançant. De Douaouda, je passais par Douera, le Gué de Constantine, ensuite Al Achour et Maison-Blanche pour arriver enfin à Douaouda-Les-Bains. Arrivé au lycée, je fus sommé de rebrousser chemin par un gardien rustre et un surveillant malveillant. Quelques candidats quittaient le lycée, la première épreuve accomplie. Déçu et démoli, je bipai à mes parents leur racontant ma déveine en pleurnichant.
— Papa, j’ai fait le tour d’Alger pour passer mon bac au milieu d’un bus plein à craquer et arrivé au lycée, on me fit échouer le…
— c’est une sale race ce directeur ! Comment ose-t-il agir ainsi ! Ne pleure pas, mon fils, tu l’auras ton bac. Reste où tu es, j’arrive à l’instant.
— Oui, maman, je les ai suppliés, mais en vain, ils me refusent l’accès.
— Tiens bon, fiston ! Ton père est déjà parti en emportant toute son artillerie.
***
— Où est ce fils de pute, ce directeur de mes deux qui se prend pour un dieu ?
— Ah, papa, tu es là ! Il est lâche, il t’a insulté et s’est retiré à l’intérieur.
— Je le délogerai de sa tanière, aie confiance en ton père.
— Ce n’est point ma faute, si je suis arrivé juste un peu en retard. Ils ont laissé les autres entrer ; moi, ils m’ont empêché.
***
Toutefois, je n’étais pas le seul, car il y avait foule aussi. D’autres parents sont venus régler son affaire à ce directeur incompétent et mal éduqué, car il refusait de les recevoir, de les écouter, de leur expliquer. Il parait qu’il y a eu des milliers de retardataires et donc de milliers de pères et de mères aussi mécontents que coléreux. Adossé au mur, je m’escrimais avec mon portable pour me connecter à mon réseau social préféré. Oui, je devais coûte que coûte communiquer avec mes amis et surtout lancer des « jaime » à mes chanteurs préférés. Pour rien au monde je ne devais faillir à l’important concours d’aimer. J’étais classé dans le top 5 des fans les plus célèbres et je souffrais pour décrocher la première place. C’était une question de vie ou de mort. Ma chanson raï préférée était en pole position et le chanteur Kaddour el vietnami me citait souvent dans ses discours. Je passais des nuits entières et des journées à le suivre et à supplanter les autres fans. Mes « jaime » étaient ponctuels, nets et précis ! Cependant, aujourd’hui, alors que je suis dehors devant le portail du lycée fermé, je n’arrive pas à accéder à Facebook aussi. On dirait que lui aussi s’était ligué avec ce directeur à la noix contre moi pour m’empêcher de réussir, de donner ma voix. Cela finit par me mettre en colère contre ma déveine. Le bachot je m’en balance carrément, mais pas du réseau. Celui-ci constitue et mon oxygène et mon sang !
Mon père se démenait partout, j’étais loin de me douter de ses valeurs de meneur. J’étais fier qu’il m’appartienne et il en était heureux, car il m’écoutait comme un élève studieux. Gentil et tolérant, il ne sortait jamais du rang. J’aimais l’avoir comme père et comme mari de ma mère aussi. Entre ma vie et toi, il y a une ligne rouge, lui disait-elle souvent quand il manquait à ses devoirs. Sa vie à elle, c’était moi, vous l’aurez deviné. Il recalait souvent mon père, mais ma mère en femme sage et généreuse le repêchait chaque fois qu’il trébuchait. Assidu, il gravit vite les échelons de la perfection et ses fautes ne sont plus légion. Ce jour-là, la télévision ameutée était là, et mon père en acteur improvisé remplissait toute la caméra. Il jouait son rôle convenablement en faisant dans le zèle pour plaire à madame ma mère qui ne manquerait certainement pas l’occasion pour le secouer.
« Pour une minute de retard, on massacre l’avenir de mon fils qui a trimé toute l’année, hurla-t-il à bout portant au journaliste qui avait du mal à le cadrer tellement il gesticulait pour appuyer ses mots. Je vais me plaindre aux autorités compétentes pour mettre un terme à cette mascarade. Wallah et trois fois wallah, ce directeur va le payer très cher ; comment ose-t-il hypothéquer sérieusement l’avenir de nos enfants ? De quel droit ? Qui se croit-il ? S’il était un homme, il aurait refoulé tout le monde et pas uniquement les enfants des « zaoualiyas ». Mon fils l’aurait déroché avec une mention très bien sinon plus, j’en suis certain. Hadi hogra, c’est tout ! »
Attendrie et complètement acquise à ma cause à cause de la plaidoirie de mon géniteur, la caméra me cadra à mon tour pour prendre mes impressions. Mon ressenti comme vous le savez n’a pas bronché d’un iota, le bachot étant mon dernier souci.
« ya kho hadi hogra ya kho ! Venite minoute wahda retard, almoudir irefusi nedkhoul njawaz elbache ? Si pas nourmal tout ça ! je suis un taleb, chno amalt ana ! Wallah massacrani ya kho ! Kifache ? Dokache jite ? C’est le bus ya kho, elhakte à 9,30, wach fiha kelkes minoutes, c’est pas elghalta diali. »
À l’issue, mon père fut condamné à laver la vaisselle une année sans tergiverser, et moi, à un mois de vacances bien méritées en Tunisie qu’il devait me les payer. Madame ma mère étant une juge incorruptible, le directeur a écopé de la perpétuité sans possibilité de recours.
Alors que je me prélassais au bord de la plage de Sousse en Tunisie, je fus dérangé par mon incorrigible mère. En effet, elle m’appelait sur mon portable qui était enfoui quelque part dans le sable blond pour étouffer un peu sa sonnerie. Les pieds dans l’eau, je savourais le ressac qui caressait mes jambes aussi longues que ma langue. « Bébé de mamma, tu es convoqué à repasser ton BAC une nouvelle fois. L’Algérie vient de décider une troisième session pour les retardataires de la première et la deuxième session. Enfin, tu vas pouvoir décrocher ton BAC, fiston de mamma ! » Ouf ! Quelle poisse ! Manque de pot, je vais devoir encore massacrer mon précieux temps pour faire plaisir à de vieux schnocks dont le seul souci est de me créer des problèmes tout le temps. Je n’ai rien à cirer de leur bâche de merde, qu’on me foute la paix avec leur attention et leur inquiétude. Je suis fatigué de leur attention démesurée, je veux juste vivre et profiter de la vie. Personne ne me connait mieux que ma mère, elle me connait bien avant les langes. Elle n’a pas besoin de me regarder pour savoir que je suis angoissé. « Oh, mon bébé d’amour ! Tu n’as pas à t’inquiéter, personne n’empoisonnera tes vacances ! L’Algérie, en témoignage de son amour pour ses enfants, a décidé lors de cette troisième session, le BAC à domicile. Donc, tu n’as pas besoin de t’alarmer, puisque l’ambassade va se déplacer jusqu’à nous pour que tu puisses le passer. Oui, son excellence, l’ambassadeur lui-même, va te faire passer l’examen. La session s’appelle « Tête à l’ombre, les pieds dans l’eau. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire