Alors que sous le regard du Che et de Fidel rayonnants dans leurs portraits trônant majestueusement sur la place de la révolution où des centaines de milliers de Cubains rendaient un dernier hommage au Comandanté, le chef de l’autorité palestinienne présidait impudiquement un congrès. Monsieur est reconduit à la tête du Fatah et par extension de l’OLP qui n’existe pratiquement plus. Par pudeur, il aurait dû au moins différer son investiture à une date future au-delà du deuil décrété par les officiels, frères et amis de Fidel. Il aurait dû impérativement faire le voyage et assister personnellement afin de rendre un dernier adieu à celui qui fut un vrai Palestinien. Faut-il être Romain pour rendre à César ce qui lui appartient ? Monsieur a été reconduit par la majorité des 2300 délégués participant à cette réunion où tous les caciques du pouvoir étaient présents. L’on a l’impression que Ramallah est plus indépendante que Gaza, sinon tout simplement une ville israélienne où Tsahal veille au grain. Oui, les sourires des hommes et des femmes, rasés de près et bien portants, renseignent on ne peut plus sur leur collaboration. S’ils avaient été de véritables résistants, Israël aurait certainement bombardé leur rassemblement.
Yatima, ma sœur ! J’ai peur dans mon cœur et j’ai peur dans ma peau, là où je me retranche quand je suis à l’étroit. J’ai besoin de toi pour refouler mes larmes au fond de mes yeux jusqu’au nombril de mon cerveau où il tempête si fort, un ouragan de mort. Tous mes vœux, mes souhaits, mes espoirs, mes envies, mes désirs refusent de quitter ce cimetière si glacé où l’hiver a pris en otage le temps universel dans ce froid sidéral. Je n’ai plus l’âge de compter mes morts qui balisent mon sort depuis la nuit des temps. Yatima, tu es le seul corridor qui canalise ma douleur et le seul port où je largue les amarres. Je ne pars plus, je reste à quai sur la tune de l’infortune à guetter le vent de la destinée.
— La nuit me fait peur, Yatima.
— Tu m’effraies quand tu me parles comme cela, Yatim !
— J’ai mal à l’intérieur de ma tête. Mes pensées s’entrechoquent en se bousculant à l’entrée de mon cerveau. Le piétinement est tellement dense que je me sens pris dans un grand tourment où mon esprit balance entre l’enfer et le paradis.
— Je te prépare une belle tisane, cela va atténuer tes peines.
— Abbas de Peres et Peres de Abbas, l’un m’embarrasse et l’autre trépasse, mais dans ma déveine, il faut que je passe par le pont de la vie avant que la mort n’enchâsse mon esprit.
— Tu parles d’une marque déposée ou d’un corps inerte et désossé ? Pour moi, le charabia arabe est pareil à la bouillabaisse palestinienne.
— La bourride musulmane est pire que la matelote algérienne qu’on appelle communément la « tchakhchoukha ».
— Non, c’est « tchouktchouka » dans le langage culinaire des ventripotents.
La Haganah lui sort du nez et il n’a qu’à se moucher pour chasser la dignité qui a pris l’identité de la morve palestinienne. Abbas de Peres du côté de la « Mère » Lachaise où la mort israélienne prend la dernière pose du chevalier du sang. La procession est palestinienne le long de ce chapelet infini où l’on égrène les graines de la vie, une à une, jusqu’au dernier cri de la femme en menhir qui pleure et se déchire au nom de la patrie. Le carrosse mondial de miss univers est avancé, et monsieur l’infernal est annoncé ; l’on vient danser sur notre honneur qu’on déroule comme un tapis sous les pieds charognards des tyrans. Quelle est cette école où l’alphabet est plus lâche que la diplomatie ? Celle-ci oblige, l’on baisse son froc et l’on troque le dernier rempart de sa dignité. L’on est fier de faire partie de cette mondanité qui nous détrousse jusqu’à notre honneur qu’elle vend au marché de la bassesse humaine.
Abbas de Peres pleure à chaudes larmes en se tenant le front devant la perte d’un si grand frère qu’il ne verra plus sur cette terre qu’il occupe, lui aussi. L’air abattu, il mouille son visage en cachant ses yeux qui n’ont de regard que pour cet adieu qu’il signe de son cœur. À quelques lieues de la honte palestinienne, un jeune adolescent assassiné par balle git sur le sol ensanglanté par on ne sait quel énergumène qui a eu l’audace de pisser son sang à même la caillasse. Il peut partir tranquille sous l’œil vigilant des vigies de la citadelle empêchant toute hirondelle de se poser là. La vie lui échappe doucement, elle le fuit en giclant de ses veines explosées. Des hommes armés jusqu’aux dents en cercle autour de lui se recueillent en lui faisant de leurs rires insolents et cochons un dernier adieu. Il s’en va dans la douleur et dans la misère, tout seul, sans les siens et sans veillée funèbre, loin de son président endeuillé par la perte cruelle de son meurtrier. Alors que le monde alentour l’abandonne, il voit un Palestinien portant une kippa pleurer le départ ultime de son tortionnaire. Il ferme les yeux sur cette image d’enfer qu’il emporte ailleurs avec un grand mal dans le cœur.
Quelques dirigeants arabes pleurent à leur tour le bourreau de Qana qui est parti très tôt avant d’avoir accompli l’œuvre pour laquelle ils l’avaient mandaté. D’autres assistent aux obsèques du fondateur de la bombe nucléaire de l’Entité sioniste en souhaitant sa résurrection pour finir le travail d’épuration. L’Arabie vient de perdre un père, un frère et un ami. Un boucher, un sanguinaire, auquel le monde borgne et éclopé a offert le prix Nobel de la paix ! Oui, il faut sauver la face devant le monde qui nous regarde et être à la hauteur de ses attentes. L’on ne peut quand même pas ignorer tous ces gens de la high society, la crème mondiale, qui ont les yeux braqués sur nous alors que nous avons les nôtres rivés sur le postérieur, sauf votre respect, des femmes. Accrochés à leurs espadrilles, nous nous plions d’efforts en multipliant les révérences pour leur signifier à l’avance notre soumission.
— He, Yatim ! Tu dors, mon amour ?
Aucune réponse ne vint soulager Yatima. Cela faisait plus d’une demi-heure qu’elle fut réveillée par des mouvements désordonnés de son mari. En effet, celui-ci avait un sommeil agité ; il ne cessait d’émettre des borborygmes qui ont fini par alerter sa moitié. Cependant, connaissant son homme, elle s’abstint de le réveiller.
— Où sommes-nous Yatima ?
Ne s’attendant point à une telle question, Yatima fut surprise et ne sut répondre dans un premier temps. Se ressaisissant enfin, elle réagit naïvement :
— Mais, chez nous, mon chéri !
— Où suis-je, mon Dieu ? Où est passé Peres de Abbas ?
— Préserve-nous du Chaytane le lapidé, au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux ! Il ne manquait plus que ces deux-là ! Ils ont empoisonné ta journée et notre temps et continuent d’occuper ton sommeil et notre lit.
— Il y a trop de cadavres dans ma tête, les enfants de Qana vrillent mes tympans avec leurs cris stridents et fous. Peres de Abbas racle le fond de mon cerveau avec ses mains en forme de truelles bizarres.
— Ce cauchemar n’est plus, mon chéri ! Il a fermé son état civil et a emporté son énorme curriculum vitae avec lui. Il parait qu’il a trouvé un nouveau job, ailleurs ; le Patron lui ouvre tout un palais où la Justice incorruptible est celle du Juste qui ne sommeille jamais.
— Oh ! Comme je me sens bien de me retrouver, là, au milieu de la nuit, chez nous dans notre chambre à l’abri de tous les conflits. J’ai honte d’appartenir à ce monde arabe traître et païen. Le droit du sol détermine-t-il la race ? Ou bien, n’est-ce qu’une invention malintentionnée de l’homme-chien ? Suis-je obligé d’être Arabe et voir les Arabes me tuer par et sur tous les chemins ?
— Tu es un homme au-delà de toute identité, tu es musulman et fier de l’être. Tu es au-dessus de ces bassesses humaines. Tu es un être noble et généreux, ne t’empoisonnes pas la vie avec les stupidités arabes. Tu n’es pas obligé d’être arabe pour faire partie de la Oumma de Mohammed que le salut soit sur lui.
— Louanges à Dieu ! Il m’éclaire de sa Lumière afin que je n’égare point le chemin de mon destin.
— Veux-tu te rendormir, maintenant ? Je te prépare un verre de lait avec une gousse d’ail dedans, tu vas sombrer rapidement dans le sommeil.
— Non, ne te dérange pas ! Je suis tellement fatigué que je vais vite m’assoupir. Je te rends folle avec moi, avec mes idées et mes réflexions rebelles.
— Arrête de dire des conneries, je suis heureuse d’être tienne. À défaut de lait, je t’offre un verre d’amour.
La nuit s’allonge au-delà du rêve et du cauchemar tous deux alignés des deux côtés de la vie comme de majestueux palétuviers bordant la route aussi dangereuse qu’infinie. Kafr Kacem, Deir Yacine, Sabra, Chatila, Qana et d’autres encore jalonnent notre parcours fait de larmes et de sang par la faute de notre inconscience et de notre ignorance. Là, au fond de la voix, entre la naissance et l’étouffement s’annonce le cri libérateur d’un peuple enchaîné dans les maillons perfides de la peur. Il faut passer outre les règles de bienséance et du bon comportement qui hypothèquent dangereusement le devenir de la nation. Le véritable danger vient de nous-mêmes, de l’intérieur, de cette fraternité née de la fratrie handicapante ! Ce sont nos frères qui mettent un frein à cette formidable machine innée et huilée qui se met chaque fois en marche vers la lumière. Souvent, l’on guérit le mal par le mal et en certains endroits, la solution doit être radicale ! En effet, le constat est amer en terre palestinienne. Il ne faut point chercher les poux ailleurs pour justifier l’état actuel des choses ; il est bête de mettre les déboires de la cause palestinienne sur le dos des Arabes. Tout d’abord, les Arabes eux-mêmes sont dans la mélasse et ont besoin de se libérer. Alors, qu’attendre de pays dépendants, sinon vendus et traitres ? Il est impératif de balayer devant chez soi avant de jeter un regard sur le parvis des autres. Oui, Palestine est doublement occupée, comme la majorité des pays qui se disent arabes. Il ne peut y avoir de révolution sans révolution interne primaire. Une locomotive inadaptée ou essoufflée ne peut mener un train à sa destination finale.
En Palestine, ce sont les wagonnets qui poussent tout le train que bloque la locomotive qui sans rendre l’âme les désarme d’une manière satanique. Jetez la révolution dans la rue, le peuple la prend en charge, avait dit feu Larbi Ben M’hidi. Il y a certainement quelque chose qui cloche dans l’esprit des Premiers Palestiniens ; il ne peut en être autrement. Des adolescents, filles et garçons, à la fleur de l’âge combattent parfois à mains nues ; ils meurent, souvent, assassinés par les sionistes barbares, alors que les vieux se roulent les pouces en flirtant avec la vie. Ceux censés donner l’exemple font tout à fait le contraire, ils collaborent avec les tueurs et les tortionnaires de leurs propres enfants. C’est à devenir fou, ce cinéma de quatre sous !
Abbas de Peres est mort l’année prochaine du siècle dernier. La procession est longue jusqu’à atteindre le Jourdain qui se lamente entre deux eaux pluvieuses et sales qui racontent notre histoire parallèle. Abbas de Peres est parti et en principe nous n’avons plus le droit d’en parler selon notre culture qui interdit de dénigrer un voyageur éternel. Je ne comprends pas les raisons qui poussent les nôtres à s’avilir même devant leurs seigneurs morts. Je n’arrive pas à cerner le mode de pensée de leur esprit perfide et soumis. Le numéro un de l’Autorité, quelle belle trouvaille cette appellation pour réduire la portée tout en offrant un semblant de pouvoir, a demandé à son seigneur l’autorisation d’assister aux funérailles. Pour rendre sa demande recevable, il l’a accompagnée d’un enregistrement personnel où il entonnait le Kaddish. Il a dû éplucher la mémoire pour dénicher le chant de la liturgie juive, la célèbre prière aux morts. En bon élève, il doit surprendre le maître. Il est impératif qu’il apprenne bien la leçon, sinon c’est le piquet qui l’attend.
Il faut être fier d’Abbas de Peres. Il fait partie d’un joli parterre venu de la Terre entière rendre un dernier hommage à un des leurs. C’est un honneur d’être au premier rang dans la cour des grands. Les premiers Américains sont là ! L’ancien Président et l’actuel portent tous deux la kippa, noire de circonstance. L’Égypte, la Jordanie, le Maroc, Bahreïn se passent le mouchoir devant le mouroir qu’ils ont au fond de leurs yeux pleureurs. Finalement, tous les pays arabes sont présents du moment que chaque région a son représentant. Et puis devant la mort, l’humilité est de mise ; il faut laisser les différends de côté. Allah est tellement grand que sa sagesse surpasse toutes les dimensions. Périodiquement, il fait tomber les masques dans le but d’aider le troupeau à voir clair dans sa peau. Les autres dirigeants arabes, ceux qui n’ont pas pu ou eu le courage d’assister vont certainement pleurer le départ de cette Éminence du mal. Ils le feront certainement devant des officiels, ou d’amis proches introduits auprès des Israéliens, qu’ils auront préalablement invités. Quel honneur de jeter un dernier regard sur l’artisan majeur du programme nucléaire ! Les enfants de la première Intifada gardent un affreux souvenir de la répression sanguinaire de ce grand homme sans cœur.
Bill et Barack équipés de kippas sur la tête sont accablés par la perte d’un des leurs et c’est de bonne guerre qu’ils le pleurent, mais le malheur ce sont ces Palestiniens qui exposent leur douleur sans pudeur. Le mont Herzl est aussi éternel que la Terre et il portera à jamais ces instants en sa mémoire pour justement raconter aux générations futures les déboires de notre histoire. Le bras levé en signe d’adieu, Abbas de Peres lance son fameux cri de détresse : Shalom Haver. Ce geste anodin et tout simplement humain efface les mille et un sacrifices de tout un peuple qui vit le calvaire sur sa propre terre. De l’autre côté de la barricade, plus de mille Palestiniens, véritables ceux-là, constituent un vrai cauchemar à l’entité sioniste. Oui, des jeunes, filles et garçons, armés de pierres, de couteaux de cuisine parfois, se lancent à l’assaut de barrages israéliens, de patrouilles équipées jusqu’aux dents de différents types d’armement. Ces gens-là sont malheureusement orphelins d’un véritable organe de révolution. S’ils avaient été seulement dotés d’armes automatiques, ils auraient dissuadé l’ennemi de commettre librement et impunément des exactions et autres méfaits ; ils auraient imposé une nouvelle donne et obligé le monde à les écouter. S’ils sont bien encadrés, avec leur volonté et leur mépris de la mort, ils sont capables de libérer le pays pour peu qu’Abbas de Peres et autres vendus ne viennent pas leur couper l’herbe sous les pieds.
— Ton café est prêt, mon amour ! Tu as dormi comme un bébé après ma liqueur de bonheur.
— Oui, mais Peres de Abbas, la Demoiselle de Signora, le Joubir de Sade, le Corsaire D’Ankar, le Baraké de Ohama, le franco de Holland et tous les charognards de ce bas monde n’ont pas cessé de creuser ma tombe, le long de cette nuit étrange et immonde.
— Oh ! Qu’ils sont méchants ces diables d’avoir interféré dans mon élixir fabuleux. J’ai cru que tu continuais à te gorger de mon vin, même pendant le sommeil.
— Les effets de ton breuvage amoureux ont certainement adouci les faits, autrement tu m’aurais entendu crier mon malheur. Tu as embaumé mon cœur et saoulé mon âme avec ta recette de dame accomplie. Je t’aime au-delà de l’amour conventionnel jusqu’aux prairies paradisiaques de l’irrationnel.
— Abbas de Peres ou Peres de Abbas, c’est du pareil au même ; vivants ou morts, ils ne changent rien au problème. À mon humble avis, il faut d’abord laver les esprits, ensuite s’occuper de Palestine qu’il faut coute que coute reconquérir pour enfin la libérer. Oui, tant que l’esprit d’Abbas de Peres flotte dans l’air, l’on ne peut prétendre à un esprit libérateur. Et puis, il faut être vraiment salopard pour ne pas rendre un dernier hommage aux véritables révolutionnaires qui ont, depuis toujours, porté Palestine dans leur cœur : Malcom x, Mohamed Ali, Che Guevara, Nelson Mandela, Hugo Chavez, Fidel Castro…
— Je t’aime quand tu réfléchis, tu dis toujours des vérités et je partage en entier tes idées. Il est impératif de réaliser une purge générale afin de nettoyer et d’unifier les rangs et décider de se sacrifier pour la patrie avant les enfants et les jeunes de vingt ans.
— Un café au lait bien chaud te remettra les idées en place. Tu as un appel sur ton portable, un certain Meguenni t’appelle.
— Ah ! Il est bien matinal aujourd’hui, il doit avoir quelque chose d’important à me dire. Je le rejoins illico presto à notre place habituelle.
Copyright © 2017 Benaissa Abdelkader
Tous droits réservés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire