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vendredi 8 septembre 2017

Le maire et la mire

À chaque échéance électorale, je vis le même cauchemar. Suis-je pour autant himar, pour ne pas me rendre à l’évidence ? Le code communal me rappelle un certain code colonial où j’étais relégué à la troisième zone, c’est-à-dire la dernière dans le classement municipal. L’indigénat indigeste me poursuit toujours comme si j’étais le seul sujet prisé par mon colon. Est-ce une colopathie nerveuse à l’image d’une grossesse ou juste un transit intestinal ayant perdu le geste machinal de saluer d’emblée l’Assemblée nationale en cette heure matinale.



Oui, chers amis lecteurs, chaque fois que le Président convoque le corps électoral, je suis saisi par une peur viscérale qui me fait subir une colique intestinale. J’imagine l’effort colossal que va dépenser la sphère gouvernementale ainsi que le travail monumental que va effectuer le service communal. Des préparations phénoménales, d’Alger la capitale au dernier bourg de l’immensité territoriale, vont aplanir le terrain et les difficultés potentielles pour réussir une opération aussi essentielle que vitale.

Avant l’heure, l’Algérie vit au rythme des élections locales et l’on bat déjà des tambours comme si l’on partait en guerre que l’on voudrait totale contre un ennemi méchant et sale auquel il faut administrer une dose létale. Et comment ! Ne s’agit-il pas de la désignation de futurs présidents ? Pardonnez mon délire, c’est la panique qui me fait dire des horreurs. Oui, la frayeur qui m’habite utilise son propre dictionnaire, s’agissant d’élections. Votre « mir » est-il déjà en ligne de mire ? Leur « mir » est-il en ligne de tir ? Le nôtre de « mir » est certainement la mire ! Alors, entre le « mir » et la mire se cache-t-il des « hamirs » pour subir tous les tirs ?



Mon émotion est pénible et assez violente, car elle nait de la conscience que j’ai du danger qui habite les murs d’Alger. Celle-ci est tellement blanche que ma peur est bleue qui me fait prendre d’ailleurs toutes les couleurs avant d’osciller tantôt sur le rouge, tantôt sur le vert. Pourtant, le noir me va si bien le soir quand le soleil dégoûté d’avoir éclairé un adret ingrat et misérable s’en va caresser un ubac charmant et désirable. Mécontent d’avoir reçu un tel camouflet, l’astre rouge et chaud se rend compte enfin que de ce côté-ci de la vie, le noir est majorité. Le khôl lui va à ravir, lorsqu’Alger souligne ses yeux de biche trahie. L’antimoine joliment saupoudré cache formidablement les nuits blanches passées à noircir, mine de rien, l’avenir des rois et des riens dans un pays où les rois sont aussi des riens. Cependant, la réciprocité n’est pas de mise, sinon elle aurait été admise pour joindre l’idiotie à la bêtise et dire les « roises » et les « riennes ».

Le Président, qu’il en soit remercié, vient de signer à partir de son palais le fameux décret. Oui, j’apprends que je suis convoqué le 23 novembre à voter. Et alors, c’est mon droit, non ? Les gens qui détiennent la science avancent le contraire. Hé, oui, l’antonyme au droit s’avère être le devoir. Entre nous, quand l’Algérie se déploie, le droit et le devoir ne s’épousent-ils pas ? Il parait que c’est le mariage de la République. Ah, comme c’est beau, l’amour étatique ! Vivement les noces algériennes ! En regardant dans le rétroviseur, je trouve que je suis à une certaine longueur derrière. Avancer à reculons est un concept purement républicain.

Nous sommes le 24 novembre et la fanfare devant mon pauvre domicile m’apprend que je suis désormais président. Ma république est une petite commune que je vais porter à la une et qui va me transporter sur la lune, le temps de consommer le miel, loin des voix et des croix des urnes. Je ne suis nullement surpris, car je m’attendais à une telle issue, étant le seul diplômé de la contrée. Il faut avoir le certificat d’aptitude républicaine pour prétendre à être candidat. Heureusement, je l’avais décroché à mon expulsion de la primaire. À l’école des abrutis-sorciers, j’ai appris à braire plus fort que mon maître zébré. C’est à force de recaler que je suis devenu un âne zélé, c’est-à-dire un vrai mulet.

Je suis enfin président et ma « dachra » me le rend si bien. Je suis le 1541e président de la géographie algérienne et mes amis et moi (les 1540 autres présidents) sommes attelés à transformer le pays en une grande DACHRA républicaine. Concours de circonstances aidant et encouragé par une législation borgne et unique, nous avons fini par l’emporter haut la main, nous les marginaux de l’école que nous avons marginalisée depuis son enfance avant qu’elle n’atteigne la puberté. Pour la première fois dans l’histoire de la République, des diplômés du certificat de fin d’études sont aux commandes du pays. 1541 maires desquels seront élus des sénateurs président les assemblées communales. Comme la commune est la pierre angulaire sur laquelle repose en principe tout le système du pays, il y a fort à parier qu’il y aura suite dans les idées. Non, tout ne va pas basculer pour la simple raison que tout est déjà aplati.

Il y a foule devant chez moi où mon père tient le haut du pavé. C’est lui le maire, moi, je ne suis que son fils élu. Il se pavane comme un coq dans une basse-cour et tout le monde lui fait la révérence sans aucun détour. Doctement, Ammi El Hadj enregistre les doléances. Lui qui n’a jamais usé le banc d’école, puisque ses pantalons ont été toujours rafistolés, jouit une mémoire d’éléphant… il distribue déjà du travail et des logements en promettant d’effacer les ardoises des fellahs et des paysans, des entrepreneurs et des artisans. Les autres, ils n’ont qu’à se tirer… une balle ou du pays. Comme je suis le fils de son père, je dois absolument obéir, sinon le petit peuple va me renier pour de vrai. Je rejoins mon nouveau statut d’enfant béni et de citoyen élu. Je tombe dans le siège et ne dois mon salut qu’au grand bureau auquel je me suis accroché. Il faut dire que mon prédécesseur avait vraiment du fessier. Le fauteuil bourré et rembourré a failli m’engloutir. Là, je suis heureux, je préside ! J’étends mes jambes, comme un linge sale, sur la bure pour me sentir président. Le chaouch entre par effraction dans ma présidence, je l’admoneste de m’avoir dérangé. Il n’a pas vu qu’en m’assoupissant, je réfléchissais… le concept tout nouveau du travail à l’horizontale.



En âne philosophe, je suis arrivé à convaincre tous les présidents du pays. Il avait fallu mille et un braiments et des coups de sabot bien ajustés pour amener toute la troupe à épouser mes idées. Finalement, ânes, bourriques, bourricots, ânons et hongres ont adhéré à mon super plan. Du moment que certaines bêtes ont eu déjà leur propre planète, nous aussi aurons celle des ânes. Les singes, je pense, ne sont pas plus intelligents que nous. Il va falloir « ânner » et ânonner pendant des années pour réussir un décollage à braire. Trêve d’âneries ! Nous les légataires du nouvel ordre établi et les signataires du testament de la nouvelle « ângérie », déclarons âne tout homme ayant pignon sur rue et ânesse toute femme ayant été par maladresse le pignon à cet homme devenu âne par définition. Les hémiones et les onagres ne sont pas admis dans notre cercle, car nous n’acceptons pas les rebelles et les hybrides. Seuls les ânes de souche sont présidentiables. Cependant, les bardots, les mules et les mulets sont les bienvenus dans notre hémicycle où notre ténor, l’aninissime baudet, entonne son chant guttural d’un himarisme époustouflant. Silence ! Notre orchestre himarmonique, sous la conduite du célèbre maestro, Maître Aliboron, qui a composé notre hymne, joue la hmirate « enta mir oua ana mir chkoune issougue elhmir » en ânerie mineure finissant en dos-d’âne majeur.


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