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samedi 16 janvier 2016

La shamia que j’aime

Le soleil s’en va toujours sur tes plaines et tes collines en balayant ton riche plateau où mon cœur bivouaque à l’orée du temps. Mon âme fêlée où l’amour goutte comme une bête blessée ne cesse de panser l’os de mon cœur brisé de tant de meurtrissures. À travers les interstices de la vie s’ombrant de nuit, vient folâtrer un semblant de jour dans mon fol esprit où les idées en cavale fuient les instants obscurs et violents où la mort embusquée sème le malheur à tout vent. Ah ! Ces senteurs qui montent de tes terres où la vie reptile se faufile parmi les printemps farouches de ton âge. Et ces douceurs à l’ombre des mots conquis au verbe agile devant ton altesse sauvage et féline, douce et coquine. Devant tant de grâce, je m’incline défait jusqu’à la pudeur des mots encore enfants, à la hauteur du secret tressé à fleur de peau de l’amour raffiné au commencement du délire. Je n’ai que cet écrit du fond du cristal de mon cœur à bout de parchemin scellé aux pleurs gauches et incapables. C’est à l’encre limoneuse de mon âme où mon verbe insurgé s’enlise, je trempe ma littérature sablonneuse pour t’écrire le désert de mes fleuves où s’enfonce ma raison jusqu’à la lie de leur lit.

Tout me parle de toi comme si j’étais déjà mort. Terrassée par le chagrin, tu pleures mon sort en multipliant l’horreur partout sur ton corps. De toutes les couleurs chaudes et gaies, tu as choisi ce seul décor qui ne sied point à ton aurore où le soleil aime se saupoudrer d’or avant de te rencontrer.Ton ciel comme tes montagnes, tes collines comme tes rivières, tes maisons comme tes chaumières… Tout me parle de toi. Même la parole se tait pour dire la magnificence du silence qui s’habille de la robe mauve de ton absence.

Cette solitude pleine de toi me remplit d’une langueur infinie où mon âme tresse les jours de tristesse au fil ténébreux du temps. Esseulé alors, j’adore écouter tes mots muets et sucrés quand doux et feutrés, ils viennent murmurer à l’oreille amoureuse de mon esprit la saga folle de ta vie. Oboda le Nabatéen respire encore ton air pur arc-bouté tel un gladiateur à sa prompte victoire en ricanant sur la débâcle de Janée le juif au fond du précipice de ton grand âge. Araméenne, assyrienne, tu danses dans mes nuits enivrées où la tempête fait toujours rage, car j’entends le galop des chevaux mongols sur la traînée houleuse du temps.

Damas, tu coules dans ma gorge comme un vin romain acide et amer, où Pompée triomphant sur mes enfants orphelins fait ruisseler les larmes de son bonheur. Je sens malgré la longue distance, en dépit de mon autisme sidéral, au-delà de la conscience humaine, le hennissement mêlé au barrissement, le bruit des glaives à celui des lances, la plainte de Rome au geignement de la Perse.

Damas ! Tu pousses l’outrecuidance jusqu’à venir occuper les moindres atomes de mon existence… Tu m’enserres… Ton amour plus grand que mon cœur où je te garde comme une goutte d’eau rare dans ce désert où gravitent des hommes plus chiens que les chiens des hommes. Tu oses prétendre à l’amour comme si tu étais un grand pays où toutes les capitales affluent pour célébrer ta noce au bal impétueux de l’histoire qui continue à s’écrire à l’ombre de l’imposture des âges.

Le Sham où se noient de pudeur les mots vaincus au bord des phrases insolentes… Les mots impuissants se retirent en silence devant l’intolérance des phrases impudentes… Des moments éhontés de l’âge frelaté de l’ingratitude universelle. Omeyyade, je te salue du haut de ma misère millénaire, depuis le Grand Califat où tu reçus tes lettres de noblesse sous le regard paternel de ce grand Omar que nous aimons tant. Depuis, en véritables enfants de l’amour inné, nous sommes devenus plus que deux amis. Je prête serment de ne pas trahir le secret qui nous unit comme ce lien pur et mystérieux qui lie une femme à son petit. Je ne parlerais jamais Abasside ni Ikhchidite ni Fatimide, ces accidents de parcours qui ont sérieusement handicapé ta route en creusant le fossé entre toi et ta dignité.

Enfin, au détour d’un pan d’histoire, le temps te gratifie de la grande révélation de tous les siècles, anciens, nouveaux et futurs et je n’ai plus besoin de raser les murs pour décliner mon identité. Tu portes haut et fort mon seul étendard aux quatre coins du vent qui souffle la plus belle symphonie de la galaxie, la plus authentique mélodie de la vie. Une riche odyssée nous unit et une longue marche nous attend encore avant d’atteindre le soleil qui pleure sur notre couche où le temps jaloux, bête et farouche, a confisqué notre lit. Notre unique délit est d’aspirer au bonheur et à la paix que le monde chante et trahit pour un non pour un oui.

Je te fais un aveu aujourd’hui, car les jours qui me restent me sont tout à fait comptés : je ne t’ai jamais été infidèle même au plus profond de ma lâcheté. Tu peuples toujours mon essence et mon entité comme si tu étais le seul colon qui m’est destiné… Tu occupes ma langue où le verbe se terre à l’abri des paroles qui n’ont que ton nom pour mot d’ordre et de désordre. Tu es l’air que je respire tant que le ciel nous dénombre sous les décombres de la conjuration infâme et du vil complot. Tu me tues chaque jour davantage à ce pèlerinage de l’esprit qui s’abreuve tour à tour à tes âges meurtris.

Je suis toujours fidèle à ton orthodoxie quand Citadelle, tu rayonnes face à tous ces Francs inconstants. De Tigrane l’Arménien à Nur-Al-Din le kurde, dit le maître d’Alep, je salue haut et fort, de mon piédestal de mort camphré, Salah-Addine Al-Ayyoubi qui a su redorer ton blason. C’était absolument notre âge d’or ! J’entends encore le galop des chevaux à brides battues des Mongols et les cris des mamelouks le long de tes murs en briques de la première maison civilisée.

Tu sais, tu as toujours été cette perle de la vie ornant de sa magnificence ma riche histoire depuis la nuit des temps et tu continues malgré tous les vents à sévir sur mon esprit qui porte l’empreinte indélébile de ton sceau conquérant. En un mot, je t’aime et je ne saurais détester ce Sham qui me charme tant que tu en es le joyau. Cependant, je sens comme une arête de poisson en travers de la gorge chaque fois que ma mémoire bute contre le souvenir de cette période que je traîne comme un boulet de forçat accroché à mon misérable corps. Alors, du fond de mon désarroi immense où mon âme tapie comme un lièvre aux aguets, j’ingurgite le vin acide et amer de la déchéance. C’est la conjoncture qui se dresse terrible et horrible pour me rappeler cette grande et triste parenthèse d’où suinte mon sang de bête blessée. Oui, je me permets de te contrarier, adossé à cette gloire omeyyade qui gonfle ma dignité en ranimant les cendres éparses de ma fierté. Je ne peux dans ma détresse d’homme fait et refait ni dans ma faiblesse de lâcheté potentielle, laisser passer une telle infamie, une pareille énormité. Je sais que tu mesures mes propos à leur juste valeur. Cela revient au respect que tu me dois de te veiller jour et nuit sans faillir un seul instant au fil des saisons mortes que pleurent les années à l’heure du funeste bilan.

Tu connais certainement l’histoire de Marmara ! Non ? Tu n’as jamais entendu parler de ce bateau pour la paix, attaqué ? En tout cas, tu n’as rien perdu et c’est tant mieux ! Moi, j’y ai laissé des plumes. Du haut de ce ciel incertain et éphémère, un moment déployant les ailes évanescentes et précaires d’un ersatz de bonheur, je me vois déchoir de la naïveté de ma candeur, de materrible crédulité.

Je traîne dans l’échancrure ténébreuse de ma raison la flétrissure grave et pernicieuse du temps qui creuse de sa folie meurtrière dans mon âme désossée de profondes ornières. Je porte dans les plis et replis de mon cerveau, dans le moindre pore de ma peau, dans le cagibi mental de mon esprit, dans l’atome infini de ma vie, dans le plus petit des petits, dans le plus ténu des cris, les stigmates indélébiles de la supercherie.

Aujourd’hui encore, j’ai davantage mal ; tu me fais boire le calice jusqu’à la lie. Te souviens-tu de Davos ? Oui, le fameux jour où le dandy islamisé a épinglé le sénile ? Ce fut un scoop ! Un grand coup médiatique ! Un vrai spectacle, du régal ! Cela s’est répandu comme une traînée de poudre à travers les journaux télévisés. À dire vrai, ce fut exceptionnel, une véritable exclusivité !

Pour la première fois, depuis la nuit des temps, un Israélien se fait rembarrer en direct sur un plateau de télévision sous le regard hilare de millions de spectateurs. Quel audimat ! Un chevalier de l’image était né ! Le monde musulman est resté bouche bée tellement c’était fort et inattendu. Branle-bas de combat dans les états-majors des revues et journaux sous presse. Il fallait suspendre l’impression, refaire les maquettes et relancer les rotatives. Et comment ! Une primeur à ne pas manquer ! Un grand bang historique ! Un haut fait d’armes à inscrire au panthéon de l’histoire. Monsieur peut se targuer d’avoir créé l’événement. Je suis resté pantois quelques secondes devant cette scène menée de main de maître. Les ignares, les ignorants, les sous-développés, les attardés mentaux, les éternels soumis, les sempiternels assistés, les amoureux de la sujétion, les masochistes, les nostalgiques, les insuffisants, les gosses politiques, les politicards, les bledards, en un mot les troupeaux arabes ont enfin trouvé un meneur. Le califat est vite déterré. On est à deux doigts de déclencher des révolutions pour destituer et chasser des gouvernants nationaux au profit du nouveau seigneur.

En tout cas, ma belle Shamia, c’est de bonne guerre ce qui nous arrive de par nos frontières transformées en passoires. Seuls notre apathie et notre laxisme sont à blâmer. Nous aurions pu nous prémunir à temps en engageant des réformes, en nous rapprochant de nos peuples ; nous aurions dû les instruire et les écouter, les mettre en confiance et les respecter. Il fallait opportunément prendre les devants et nous préparer avant de subir toute cette avanie. Tu n’es pas sans savoir, ma douce shamia, que le monde dans lequel nous évoluons est devenu par la force des choses un petit village. En vérité, les démarcations ne sont plus que limites cartographiques. L’unicité de la pensée et le discours démagogique ne sont qu’illusoires et chimériques. Tout devient transparent par la grâce de l’information qui ne nécessite aucun visa pour son émigration. Tout se propage à la vitesse de la lumière en faisant fi de toutes les frontières. Le résultat s’annonce terrible, choquant et désolant. Cependant, le monde dont il est question est divisé en trois groupes bien distincts : les décideurs, les exécuteurs et le troupeau. Tu ris ? Je ne sais s’il faut en rire ou en pleurer. Bien entendu, nous faisons partie comme tu viens de t’en rendre compte de la dernière classe constituant la majorité écrasante, mais hélas, écrasée aussi. Il est encore loin le chemin de l’éveil des consciences malgré le pas certifié de la science et en dépit de la technologie avancée. Une poignée d’États développés recherche le contrôle planétaire. Tous les moyens sont bons pour atteindre cet objectif, toutes les stratégies sont mises en œuvre pour sa réalisation quitte à gommer certains pays, à remodeler certaines géographies. Les cibles sont légion ; elles sont arabes par définition.

On a détruit la Libye et certains Libyens éclairés se sont fait leurrés par un certain Bernard qui leur a posé un vilain traquenard. On morcelle toujours de ce côté à construire plusieurs Lybies. Le chantier demeure ouvert et on y arrive petit à petit. Qu’Allah Le Tout Puissant assiste le peuple d’Omar Al-Mokhtar dans son malheureux désastre et sa sinistre tragédie.

Je suis là, assis en face de mon esprit qui me tient le haut du pavé. Dans ma peine où se lamentent des remous silencieux, j’allume une bougie pour nous éclairer un peu la lanterne. Avec ce peu de lumière qui vacille, j’illumine les recoins fiévreux de mon âme où sombrent mes espoirs les plus vieux. Le noir nous mange et l’obscurité nous dérange : on avance vers la nuit. Le monde se suicide lentement sur les murs de l’hypocrisie érigée en idéologie planétaire.

La télévision pleure en direct la mort d’une fille de dix-sept printemps… C’est dur de mourir à l’âge des fleurs. La mort est toujours tragique, même celle d’une vipère. La perte d’un être cher est une grande catastrophe et une effroyable épreuve. La télévision verse dans le sensationnel, dans le drame… Elle pleure à chaudes larmes ! C’est un moment digne, auguste et grave imposant le respect total sans condition. Que c’est triste de voir un homme pleurer ! C’est tellement affligeant que le temps s’arrête sur cet instantané poignant où le monsieur, olympien, se laisse choir dans une tendre compassion. Focus sur ce visage déchiré par tant de peine où mon cœur traîne la savate en battant le pavé de la misère humaine. Oui, Asma, moi aussi je te déplore, car tu es un peu ma fille et ton jeune âge au commencement de la vie te prédestinait à un sort meilleur, ici sur Terre. Tiens ! Mystérieusement, tu rappelles à mon souvenir autant que cet homme élégant dans ce touchant plateau, une belle Syrienne : Yara.

Cet individu qui te pleure dans sa télé est un peu le tueur de ce joli papillon syrien. À vrai dire, ils sont des dizaines de milliers, des Yara féminins singuliers et masculins pluriels qui ont péri par la faute de ce type pendu à son mouchoir et d’autres messieurs assoiffés de mouroirs. Les larmes qu’on braque à travers la petite lucarne tuent autant que des pistolets. Elles arrivent parfois à mieux assassiner.

«… Je n’ai pas profité assez de ta précieuse compagnie durant ta courte vie et c’est surtout mes obligations qui m’empêchaient de me réjouir de ta présence… La dernière fois que nous nous sommes assis, à Rabaa Al-Adawiya tu m’as dit, même quand tu es avec nous, tu es occupé ! ».

En effet, c’est dur pour un père de perdre son enfant. Je compatis, le cœur brisé à cette perte cruelle qui me détruit. Chaque fois que je lis cette lettre de ce géniteur meurtri adressée à titre posthume à sa fille, je laisse une part de moi-même éparpillée à travers cet écrit. Une douleur incommensurable et j’en mesure l’intensité.

Monsieur le pleureur, ces Syriens qu’on efface de la surface de la Terre avec ta bénédiction, ne te font-ils jamais pleurer ? Sont – ils des moins que rien pour susciter ta compassion ? N’as-tu pas vu cet animal que tu as engraissé, galvanisé et armé, manger sauvagement le cœur d’un jeune soldat syrien, après l’avoir dépecé ?

N’as-tu pas vu encore cet autre soldat, d’à peine vingt ans, tremblant de peur entre les mains de tes mercenaires ? Yeux bandés et poings liés, on lui faisait passer le fil du rasoir sur son cou fragile pour le tuer dans la durée ? Tu as vu comme sa pomme d’Adam dansait le yéyé avant que ton tortionnaire ne lui ôte la vie ?

Oui, mon brave pleureur, on lui a tranché la gorge devant sept milliards de spectateurs…

Benak in Le printemps de Damas
https://www.bookelis.com/romans/24153-Le-printemps-de-Damas.html

    https://www.bookelis.com/romans/24121-Le-printemps-de-Damas.html

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