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lundi 11 janvier 2016

Viru-s-Aoudd


L’esprit éveillé de Yatim avait dressé tout de suite le parallèle avec ces bédouins de la modernité prêtant allégeance au Yankee du coin. En compulsant les annales de l’histoire du monde musulman, Yatim apprit que celui-ci connut son apogée lorsqu’il fut attelé à la civilisation persane et son déclin, malheureusement, quand il fut remorqué par l’empire ottoman. Pourtant, de nos jours, ces sunnites en turbans n’arrêtent pas de diaboliser l’Iran, cet autre pays musulman dont le seul tort est d’être hostile à l’idéal américain. Évidemment, il faut lui trouver un prétexte fallacieux et son chiisme est tout indiqué pour lui coller tous les maux et fléaux. Ensuite, il suffit d’ameuter tous ces érudits de palais, ces cheikhs à la con, ces religieux soudoyés pour le diaboliser aux yeux des peuples aveugles et endormis.

À priori, disait Yatim, comme l’avait si bien exprimé un jour un respectable Libanais, tous les musulmans sont chiites du moment qu’ils adulent Ahl Al-Beit et sont tous sunnites puisqu’ils sont appelés à appliquer à la lettre la Sunna. Celui qui s’emploie à diviser la « Ouma » au lieu de la rassembler ne peut être qu’un dévoyé.

L’Arabie aurait pu jouer un rôle rassembleur en encourageant les croyants à plus d’unité ; elle peut toujours prétendre à ce rôle du moment qu’elle dispose de beaucoup d’atouts en main, et ce, malgré la déliquescence des liens entre les différents pays musulmans.

Yatim ne comprenait pas cette délinquance qui poussait la nation arabe à la dépravation. Cette terre sacrée et consacrée représente le centre du monde par décision suprême et nul ne peut lui ôter ce caractère hiératique du seul fait qu’elle abrite La Mecque et la tombe du sceau des prophètes – que le salut soit sur lui – ainsi que celles de plusieurs envoyés. Le serviteur des deux Lieux Saints doit être en principe l’intercesseur de l’Islam et des croyants comme au bon vieux temps des khalifes, que Dieu les agrée dans son vaste paradis. Cette notion de service bat de l’aile tant qu’elle n’englobe pas le troisième lieu sacré ; elle demeure imparfaite tant qu’elle ne couvre pas la première des deux Qibla. Tout souverain, khalife ou imam, s’affublant de cette fonction doit impérativement inclure Al-Qods sous sa protection. Le pèlerinage étant le plus grand regroupement de personnes dans le monde, il permet chaque année de véhiculer et de transmettre des messages clés à la nation, mais encore faut-il que le commandeur soit un vrai musulman.

Dans la situation qui prévaut dans la région, il semble impossible d’unir des États aussi différents qu’hétéroclites. Dans quelle sauce faire revenir des royaumes et des républiques ? Comment accorder des réactionnaires et des progressistes ? Autour de quelle table asseoir les pauvres et les riches ? Au fait, comment fait-on pour naître roi ? Existe-t-il une formule magique à appliquer ou bien sont-ce seulement les circonstances qui se prononcent en faveur ou contre un tel avènement ?

En tout cas, une chose est certaine : la déviation fut à un certain moment de l’histoire ; elle remonte au début du siècle lorsque les deux puissances de l’époque se partagèrent le Moyen-Orient. L’année mille neuf cent seize fut décisive pour cette région quand Anglais et Français, dans un découpage machiavélique, s’octroyèrent de grands morceaux de ce vaste territoire sans frontière. Dans la foulée, on fourra dans la tête de Chérif Hussein une grosse promesse : le fameux royaume arabe. Sir Mark Sykes et François Georges-Picot peuvent se targuer d’avoir été les chantres et en même temps les artisans du dépeçage de cette partie du monde qui ne connaîtra jamais de paix, et cela, avec la bénédiction de la Russie tsariste qui avait assisté aux délibérations. Cette même Russie, qui trente-deux ans plus tard, assurera le sauvetage d’Israël en organisant un pont aérien à partir de la Tchécoslovaquie. La Perfide Albion s’était donné les moyens de réaliser la mainmise sur les richesses du pétrole de Mossoul et sur le canal de Suez. De par cet accord, les alliés avaient violé outrageusement leurs engagements vis-à-vis des Arabes ; ils devaient leur offrir une indépendance totale en reconnaissance de leur assistance contre l’empire ottoman ; Pourtant le colonel Edward, le fameux Lawrence d’Arabie, s’en était porté garant.

L’Islam, de par le caractère divin de son message et l’apodicticité de ses enseignements, est incompatible avec cette forme de gouvernement dans lequel le pouvoir héréditaire est détenu par un seul homme nommé émir ou roi. Mohamed, que le salut soit sur lui, n’a jamais porté les habits d’un monarque dans le sens étroit du terme. Yatim pensait que si ce régime politique était autorisé, Allah aurait certainement fait roi son prophète. À défaut, il l’aurait incité à le devenir. Aucun texte, qu’il soit coranique ou appartenant au Hadith, ne consacre cet état de fait. Ce sont donc certains impérialismes qui installèrent ces prétendus sunnites à la tête de royaumes créés à la mesure de leur convoitise et de leur rapacité immodérée. Roitelets par compromission, ils se justifiaient comme étant des ayant-droit en faisant valoir la noblesse de leur rang. Descendants de la famille du prophète par prétention, ils régnaient sans partage sur des richesses colossales n’acceptant ni prétendant ni contestataire.

La cupidité et la soif du pouvoir aidant, ils s’alliaient parfois au diable aux seules fins de préserver leurs privilèges et se maintenir au trône. Des luttes fratricides et d’intérêts éclataient périodiquement à l’intérieur du sérail en virant quelquefois au drame, mais la puissance tutélaire était là justement soit pour encourager ces troubles soit pour y mettre un terme. Celle-ci pouvait à loisir fomenter toute sorte de coups bas pour sauvegarder ses avantages et profits ; elle pouvait déchoir, nommer, destituer, couronner, défaire, rétablir à volonté et selon sa propre vision des choses.

Yatim ne reprochait rien à ces rois, princes et émirs parachutés par les grandes puissances sur ces immenses richesses qui faisaient tourner le monde. Qui oserait refuser une vie de nabab ? Qui déclinerait un tel paradis sur Terre ? Au contraire, il les comprenait sans toutefois leur donner raison. Ces familles royales et princières trouvaient là leur terrain de prédilection à savoir des peuples soumis parce qu’ignares. Le principal problème sévissant de Djakarta à Marrakech est cette ignorance qui handicape lourdement le devenir de toute cette région. Le pire ennemi demeure cette inculture flagrante et persistante que le monde arabe continue de traîner comme un boulet de forçat.

Le Moyen ainsi que le Proche-Orient grouillent d’émirs et de princes tous détenteurs d’un ou plusieurs puits. L’argent coulant à flots, les oligarchies du Golfe ne trouvent que l’Amérique et l’Europe pour le dépenser. Las Vegas, Monaco, Venise, Piccadilly, Rio, Marrakech, Beyrouth, Le Caire, pour ne citer que ces places fortes du jeu et du luxe, sont autant de destinations prisées par ces messieurs qui ne vivent que pour le trône, le ventre et le sexe (al Arch, al kerch, al farch) selon la formule chère à un certain Monsieur Nekache.
Benaissa in Syrie, enfer et paradis

  

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