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lundi 15 mai 2017

Yémen, mon amour

Il pleut sur « Singapour » qui suinte sur le mur de la vie en dégoulinant plus loin à travers la gouttière insipide du temps vague et maussade. Les rues enveloppées dans un manteau de tristesse infinie tendaient leurs mains rêches et crasseuses aux passants mornes et singuliers qui trainaient la savate en raclant les fonds sombres de l’existence. Ici, point de guerre ou de pauvreté, seulement la misère humaine pèse lourdement sur les esprits stériles et inféconds. Yatim faillit tomber en sortant de chez lui ce matin-là. En effet, il avait glissé sur un excrément naso-buccal issu d’un individu infernal du Neandertal comme une marque déposée communale. Le type en question, resté dans les parages pour on ne sait quel ouvrage, avait observé toute la scène en recevant, cela va de soi, les raisins amers de la colère d’Yatim qui était dans son jour de chance, sinon il aurait atterri à l’« hôpitalerie » du coin. Oui, la boucherie où l’on rafistolait les débris des êtres humains qui auraient l’infortune de déraper sur de la fiente des bipèdes humanisés. Les crachats sont monnaie courante partout où le pied aveugle promène son homme qu’il soit singulier ou pluriel, masculin ou féminin dans ce pays qui se noie dans sa propre salive qu’il projette en postillons, en projectiles et en mines antipersonnel.

Le bruit assourdissant des réacteurs du Boeing d’Air Algérie déchire le ciel en mille et un Yémen dans l’espace réduit de l’esprit « yatimien » qui l’assimile à un lourd bombardier. Et si les soutes à bagages s’ouvraient juste au-dessus du village ? Et si au lieu de valises et autres colis, des bombes s’abattaient sur le bourg ?

Le Yémen à la peau dure, il s’invite à chaque occasion ces derniers jours, à tous les pourtours et on ne risque pas de le manquer à chaque détour. Alors qu’Yatim marchait, il ne put empêcher son esprit de transhumer du quartier chinois grotesque et cramoisi vers les hautes sphères de la pensée humaine où la reine de Saba donnait un cours magistral à l’histoire inhumaine d’un monde orgueilleux, injuste et oppresseur.

— Salem alikoum, le vieux baroudeur. Tu n’arrêtes pas de rôder comme un fou dans les rues de ce taudis. On dirait que tu aimes souffrir, à ta place je me serais suicidé.

C’était Kassimo le fou du village qui passait. Engoncé dans sa djellaba éternelle qui l’habillait en toute saison, il arpentait jour et nuit, sans relâche, les venelles tortueuses, mais n’adressait la parole qu’à certaines personnes triées sur le volet, le sien, cela s’entend.

— Alors, tu ne me rends pas le salut, monsieur le cultivé ? As-tu peur de me payer juste un café ? Es-tu devenu radin comme les autres salopards qui rient sous cape à mon passage ?

— Oh ! Salem, sahbi ! Wallah, j’avais la tête ailleurs et tu sais très bien que nous sommes amis et que je ne te dénigre jamais. Me crois-tu, salopard, à ce point ?

— Non, tu n’es pas comme les autres, tu es bien meilleur. Cependant, tu me dégoûtes parfois quand je te vois dépérir sur les rues de ce faubourg de merde.

— Je te trouve clairvoyant, mon ami. Toi aussi, ta place n’est pas ici. Allez, prends ce billet aujourd’hui, tu l’as bien gagné.

— Merci chevalier et surtout évite la reine, elle n’est pas aussi belle que cela !

— De quelle reine, parles-tu Kassimodo ?

— De celle qui te remplit la tête en ce moment, je l’ai vu grimper sur la hampe de ton cerveau. Le royaume de Saba n’est pas un empire, mais une grande civilisation. A contrario, c’est l’empire de Himyar qui laissa des empreintes indélébiles en associant le royaume de ta reine à son territoire, certes montagneux, mais ingénieusement structuré jusqu’à en faire un véritable paradis mettant fin à l’enfer du Rubea Alkhali.

— Hein !

— Monsieur Mgueni t’attend en veillant sur ses deux roses. Rejoins-le avant que Sanaa ne t’empêche d’aimer Aden.

— Tu me bouches un coin, Kassimo ! Finalement, ana almahboul machi enta (c’est moi le fou et non toi) !

— Je te débouche le passage, je disparais de ta vue et je retiens mon langage. Non, ce n’est pas toi le fou, c’est bien le déguenillé qui l’est ! Allez, merci pour les deux cents dinars, mon ami.

— Non, Kassimodo ! Tu m’as surpris totalement et je… merde, mais un moment, s’il te plait, laisse-moi terminer.

Kassimo ne l’entendait plus, il était déjà ailleurs, sur un autre registre, puisqu’on l’entendait fredonner un chant typique que lui seul connaissait. Yatim l’accompagna de son regard désolé jusqu’à ce qu’il disparaisse, happé par la prochaine rue. Une voiture roulant à tombeau ouvert faillit le renverser quand celui-là essaya de traverser pour aller de l’autre côté afin de rejoindre son ami, Mgueni. Génération de bâtards, dit-il à part soi, quand il eut franchi la rue.

— Je t’ai fait attendre, mon ami, dit Yatim d’emblée en embrassant Mgueni qui s’était levé pour le recevoir.

L’accolade fut franche et sincère.

— Je te trouve inquiet et blême, j’espère que tu n’as rien de grave à la maison.

— Non, merci ! Je suis seulement énervé, car j’ai failli être emplafonné par un chauffard, il y a quelques minutes.

— Ah ! Le bolide qui vient de passer, il y a un instant. C’est le petit fils du général à ce qu’on dit, il ne l’emportera pas au paradis. J’ai eu peur pour Kassimo. Heureusement qu’il avait tourné au coin de la rue.

— Qu’en penses-tu exactement, Mgueni ?

— Du rejeton, du général ou du fou ?

— Crois-moi, il n’est pas aussi dérangé que cela !

— Les fous sont généralement sages et visionnaires, mais personne ne les écoute. Ils sont comme les enfants, ils disent la vérité sans masques !

— En effet, je viens de l’apprendre à mes dépens, car j’étais loin de supposer Kassimodo aussi cultivé.

— Hein ? Tu m’en apprends des choses ! Kassimodo cultivé ?

— Oui, avant de subir la tyrannie du petit fils du caporal, j’ai eu un petit entretien avec notre ami et je fus abasourdi par sa pertinence.

— Ah ! Monsieur pérorait, alors que je poireautais comme un idiot.

— Tu as de la chance qu’il soit parti, autrement tu aurais passé la matinée à chauffer ton siège et ton esprit. J’ai essayé de le retenir, mais il a esquivé sans me donner la chance de le rattraper.

— Tu ne prends pas ton café aujourd’hui ? Si Ahmed est absent, les autres ne sont pas aussi serviables. Tu dois passer commande et attendre qu’on daigne te servir.

— Alors, je vais le chercher moi-même, car j’ai besoin de me remonter le moral. Une minute, je reviens !

Le ciel était couvert, mais pas menaçant. Il y a peu de temps, il a plu des cordes toute la nuit. Il faisait un peu frisquet, mais c’était tout de même tempéré. Le Boeing déchirait l’espace et au bruit de ses moteurs, l’on sentait qu’il donnait toute la puissance pour s’élever afin d’atteindre la vitesse de croisière. Dans quarante minutes il sera à l’aéroport Houari Boumediene déchargeant sa cargaison humaine. Le comptoir était vide mis à part le garçon qui s’escrimait avec la machine pour en extraire le jus noir que l’on buvait du matin au soir. 

Yatim fut servi avec le sourire.

— Il n’est pas tellement bon ce café ! Il ressemble beaucoup plus à un jus de chaussette, mais je n’ai pas le choix. Je le prends en pensant à ma déveine, lança Yatim en rejoignant sa place

— Je t’aurais prévenu ! Le patron est absent , les souris dansent.

— Alors, où en étions-nous, cher ami ? Le Yémen ou la Syrie ?

— Ni l’un ni l’autre, nous parlions de Kassimodo et de ton tueur, ironisa Mgueni.

— En effet, Kassimodo renvoie à l’Arabie heureuse comme aimaient l’appeler les Romains.

— En quoi, est-elle joyeuse, cette Arabie de merde ? S’insurgea nerveusement, Mgueni. Je déteste ces croupions arabes qui sèment la pagaille partout, ajouta-t-il fiévreusement.

— Les Arabes font pitié, les pauvres. Je les accuse certes, mais ne les en veux pas beaucoup. Ils sont toujours ciblés par un Occident aussi sanguinaire que charognard.

— S’il te plait, Yatim, ne me parle pas de complot ! C’est toujours la même rengaine !

— Allah ne dit-il pas que ni les Juifs ni les chrétiens ne t’agréent jusqu’à ce que tu suives leur chemin ? Crois-moi, Mgueni, les coups bas et les attaques n’ont jamais cessé dans notre contrée. Toutefois, je reconnais qu’ils trouvent un terrain favorable, des facilités énormes, des connivences importantes et des gouvernements complices.

— Nous sommes plutôt une sale race, un peuple paresseux, flegme et vaniteux. Ignorants, nous aimons la soumission.

— Cela, je ne te le fais pas dire. L’ignorance est fatale, elle opère de sérieux ravages. Notre avenir en tant que nation est-il compromis pour autant ?

— En matière de culture, il y a des avaries irréversibles que tu ne peux colmater avec ta seule pensée. Quand un bateau prend eau de toutes parts, il coule inéluctablement.

— Je n’aime pas ce tableau noir que tu dresses à l’abordage de mon espoir. Changeons de fusil d’épaule, le gibier arabe est pluriel.

— Préfères-tu qu’on parle du Yémen ? Je sens depuis tout à l’heure que ce sujet te brûle le cerveau.

— Ce pays est méprisé par la majorité des pays arabes ainsi que le Bahreïn ; il ne revêt pas assez d’importance à leurs yeux. Pauvre et arrimé à un puissant voisin, il fait figure de chasse gardée et les Al Saoud y exercent une mainmise des plus inqualifiables. Tu sais très bien que je n’aime ni l’injustice ni l’iniquité et ce pays subit depuis plus d’une année une agression non seulement déloyale, mais aussi impitoyable.

— Tout ce dont je sais, par ouï-dire bien sûr, c’est que les Yéménites sont les vrais Arabes et que tous les autres qui se proclament ainsi en sont issus. Je sais aussi que nos « Afghans » ont transité un certain temps par le Yémen durant les années quatre-vingt pour rejoindre les maquis musulmans contre les athées soviétiques ; ils nous sont revenus bien aguerris pour nous mener la vie dure en Algérie…

Mgueni se tut un instant, car son esprit venait de buter sur une monstruosité. En effet, il réalisait que tout ce qui s’était passé ne pouvait être réalisé sans une véritable logistique et sans une solide finance.

Il soupira profondément avant d’ajouter :

— Tu as raison, les Al Saoud sont de véritables tyrans. Ils sèment le mal partout, surtout dans les pays arabes et musulmans.

— Malheureusement, une hirondelle ne fait pas le printemps. Beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts avant que les peuples arabes ne prennent conscience de la plus grande supercherie. Ils ne sont pas près de comprendre que ces brigands du vingtième siècle ont volé le Coran et dénaturé l’Islam. Cela fait deux siècles qu’ils continuent d’opérer des ravages. Ils saccagent tout sur leur passage en utilisant l’argent qu’ils s’approprient et la religion à mauvais escient.

— Voler le Coran ? Est-ce à dire qu’ils ont modifié ou falsifié des versets ? Allah ne dit-il pas qu’il assure la protection du Livre dans une de ses sourates ?

— Non, ils ne peuvent le faire, car le Coran est d’abord dans les cœurs. En effet, Allah exalté soit-il, dit (sens du verset) : «  En vérité, c’est Nous qui avons fait descendre le Rappel (Coran) et, c’est Nous qui en sommes Gardien. »

— Alors, sois plus clair s’il te plait, je ne m’explique pas tes propos.

— Allah a préservé ses Mots de tout changement et leurs sens de toute altération. Cependant, il arrive que des gens malintentionnés en détournent leur explication en émettant de fausses interprétations. Toutefois, il y aura toujours des gens pour rétablir la Vérité chaque fois qu’il y aura modification de sens. Néanmoins, le mal est profond, car cela fait treize siècles qu’on enseigne un Islam différent des premiers enseignements. Oui, on a pris le soin de tout maquiller selon les envies d’une certaine secte qui opéra une véritable OPA sur le Hijaz et sur les musulmans en diluant dans leur esprit un poison aussi vilain que pernicieux. Le pauvre Yémen est en train de faire les frais de sa politique rebelle à celle de son puissant voisin. Oui il a grandement tort ! Il n’avait qu’à ne pas coller sa géographie à celle de cette Arabie fort arrogante et capricieuse.

— Nous en avons tous souffert par le passé en Algérie à cause des hordes sauvages. Tous les pays qu’ils soient arabes ou musulmans subissent de plein fouet les retombées de leur sujétion et de leur ingénuité.

— Wallah, je te rejoins sur cette idée. Ils méritent ce qui leur arrive, car ils continuent à vivre dans leur obscurantisme sidérant. Ils ne cherchent ni à voir ni à comprendre, ils sont aveugles du cœur et de l’esprit. Ils ne cherchent pas midi à quatorze heures et ils croient dur comme fer que leurs seules prières suffisent à les conduire au paradis. Et surtout qu’on ne touche pas à leur sainte Arabie.

— Wallah, Yatim, je vois un horizon noir qui nous attend si nous ne prenons dès maintenant les mesures qui s’imposent pour lutter contre ce wahhabisme affligeant et contrecarrer cet esprit lénifiant. Il va falloir mener un combat sans merci à tous les niveaux et sur tous les plans et espérer que la providence soit de notre côté. Le mal est si ancré qu’il va falloir tout décanter à commencer par l’alphabet.

— Je n’ai jamais pris un café comme celui-ci ; il est vraiment abjet !

Mgueni se mit à rire…

— Ris autant que tu peux ! Il est infect ce café !
— Depuis tout à l’heure, je te vois malmener ton gobelet comme si tu voulais l’essorer pour en extraire la dernière goutte. Tu as tout avalé et tu oses dire qu’il est dégoûtant.

Yatim s’esclaffa à son tour…

— On aspire tout dans ce bled sans regard sur la qualité. On ne fait que fourrer à longueur de journée comme si nous étions nés pour manger et rien que pour manger. Je ne te le fais pas dire, Mgueni, tu as vu juste pour l’alphabet ; nous sommes très en retard, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, il suffit de commencer.

— En effet, rien ne va chez nous et autour de nous et au train où vont les choses, nous fonçons droit au cauchemar. Toutes les valeurs comme le respect, l’éducation, les bonnes mœurs, la sincérité, la tolérance, le pardon, l’honneur, la dignité, la conscience, la déontologie, le devoir, le droit chemin, l’éthique, la morale, la moralité, l’obligation morale, la prescription, la bienséance, la vertu la décence, le bon ton, la chasteté, la convenance, la correction ; la gravité, la délicatesse, la grandeur d’âme, l’élévation, la générosité, la noblesse, la sublimité la magnanimité, la bonne foi, la confiance, la cordialité, la droiture, la franchise, le franc-jeu ainsi que le franc-parler disparaissent de notre quotidien et de notre vie, en nous laissant, à tout jamais, orphelins et vraiment malheureux.

— Oh lala ! Tu brosses un sombre tableau, mais tu le fais d’une manière remarquable. Tu nous pares le cou déjà fragile d’un chapelet si lourd. Oui, tu as raison ! Nous portons en nous maints vices et fléaux. La duplicité, la déloyauté, la facticité, la fausseté, la félonie, la fourberie, la malhonnêteté, la mauvaise foi, la perfidie, la scélératesse, la sournoiserie, la trahison, la traitrise, la tromperie, la félinité, l’escobarderie, la matoiserie, le patelinage, la patelinerie, la bigoterie, la bondieuserie, le pharisaïsme, la tartuferie, l’hypocrisie ; la cagoterie, l’artifice, la cachotterie, le faux semblant, la finauderie le mensonge, le leurre, la pantalonnade, la tromperie, le simulacre, la finasserie, la subreption jalonnent notre histoire, de part en part, comme s’il était écrit que nous devions subir toute l’avanie humaine.

— Parfois le désespoir m’habite, m’occupe, me colonise, m’habille en spoliant ma peau et je me sens tout nu dans mon cerveau qui chauffe comme une marmite sur le feu. Lorsque tu parles de cette façon, je mesure la gravité de la situation. Cela m’attriste en ajoutant à ma douleur une certaine dose de désespoir. Je me mets alors à broyer du noir et à me lamenter sur toutes ces occasions manquées. Oui, nous aurions pu être à meilleure enseigne, mais nous n’avons pas su tirer profit de toutes nos possibilités.

— Tu sais, Mgueni ! Rares sont les gens qui ont conscience du marasme dans lequel nous nous débattons. Cela me fait peur, car nous pouvons rapidement basculer ; la descente aux enfers sera terrible cette fois sans commune mesure avec ce que nous avons déjà vécu. Je te jure que l’Algérie n’est point à l’abri de ce printemps de merde qu’on qualifie d’arabe pour nous emmerder encore plus. Cette appellation n’est pas fortuite, mais savamment produite pour nous signifier notre véritable statut.  
— Nous méritons notre sort, ya khoya Yatim ! Nous n’avons pas su nous hisser à hauteur des nations civilisées, car nous nous sommes enfermés dans le religieux qui ne peut être qu’un cercle vicieux. Ne penses-tu pas que sur ce plan, l’État a démissionné complètement en nous livrant à ces musulmans de type nouveau qui polluent nos rues, nos mosquées, nos esprits en nous empoisonnant la vie ?

— Tu as raison sur ce point, cela fait six ans qu’on massacre systématiquement les Syriens, qu’on détruit la Syrie et nos imams sont muets lors des prêches du vendredi où en principe ils doivent mettre l’accent sur les problèmes qui déchirent l’Oumma et qui la piègent. La nation court un danger réel d’extermination sinon de dislocation et nos enturbannés nous parlent d’ablutions et d’histoires anciennes. Est-ce haram (interdit) le fait de manger un œuf sans le laver ? Est-il interdit de manger des escargots ? Les kamis longs jusqu’aux chevilles sont interdits ! Sont voués à l’enfer ceux qui les portent ainsi !

 — Et le Yémen ! Presque personne n’en parle. Même les pays dits de la confrontation s’enferment dans leurs cocons s’agissant de l’Arabie. Aucun pays n’ose la défier soit par crainte de représailles soit par hypocrisie et cupidité.

— Ah ! Tu as mieux fait de le rappeler à mon souvenir. Justement, je voulais qu’on en parle, mais notre discussion a suivi un autre cours. La scène arabe est tellement riche qu’on s’y perd facilement. On ne sait plus où donner de la tête tellement ça foisonne. Le bateau arabe prend eau de toutes parts ; le comble, les Arabes ne savent pas nager. Quant aux gilets de sauvetage, cela renvoie à une anecdote dégradante certes, mais vraiment édifiante. En effet, l’on raconte que lors d’un incident technique survenu à un avion alors qu’il survolait l’Europe avec à son bord cinq Européens et un Algérien. Ils ont décidé d’évacuer l’aéronef en toute urgence. Seulement, ils ne disposaient que de quatre parachutes et d’un vulgaire sac à dos leur ressemblant…

— Évidemment, le sac revint à notre compatriote, anticipa Mgueni en riant.

Yatim se fendit la rate… Mgueni ne put se retenir lui aussi. Ils se mirent à rire sans se soucier de l’effet de leur hilarité sur les gens attablés alentour. En effet, tout le monde se tut un instant attiré par leur enjouement qui dura un moment assez remarquable.

— Oui ! Le comble, le malin se hâta de sauter le premier ; on le laissa faire à sa guise sans le contrarier ; il crut qu’il les a eus en se jetant dans le vide tout heureux de quitter l’avion.
— Nous sommes aussi cons que cet idiot qui a défié la force de la gravité avec son imbécilité à toute épreuve. Nous devrions en pleurer au lieu d’en rire, ya Yatim !

-Hi-hi-hi ! Ham idahak et ham ibaki (le malheur fait rire et pleurer aussi), c’est le cas de le souligner. Comme tu vois, le rire nous permet parfois de déstresser, de nous soulager en évacuant notre trop-plein d’angoisse ; il agit en soupape de sécurité pour nous éviter une inévitable implosion. Pour revenir au Yémen, ce pays subit une agression lâche de la part de gens se déclarant garants de l’Islam et défenseurs des sunnites doux et gentils face à des chiites sauvages et méchants.

— Le temps passe vite, mon ami et deux heures ne nous suffisent plus. Nos débats sont riches, importants, pertinents et surtout ils nous regardent de près comme de loin. J’ai hâte que ce soit demain pour continuer à écouter tes mots, ils sont édifiants. Je veux que tu me racontes le Yémen, car je sens qu’il vrille ton cœur depuis un certain temps. Allez ! Lève-toi et foutons le camp, midi a déjà sonné. N’oublie pas de payer l’addition, c’est ton tour aujourd’hui !

Alors que les deux amis discutaient au milieu du brouhaha continu du café où une clientèle nombreuse et variée s’abreuvait en café, des milliers de personnes tombaient sous les bombes assassines et les tirs criminels des chiens apprivoisés, des ânes diabolisés, des Arabes américanisés. Oui, ricains, Saoud et Daech se ressemblent à plus d’un égard, car ils sont mus par le même esprit vilain et satanique. Nés d’une même matrice idéologique à l’image de clones programmés par des états-majors maléfiques et destinés à casser de l’Arabe et du musulman où qu’ils soient. Les États-Unis, Al Saoud et Israël se sont formés en tant qu’Entités sur le massacre et le sang. Par la force conjuguée du fusil et de l’épée, ils se sont élevés sur des ethnocides caractérisés. Les seuls qui pourraient avoir une infime légitimité sont les Saoud parce qu’ils sont issus de la presqu’île arabique.

Cependant, cette reconnaissance mineure ne saurait suffire à justifier leur souveraineté sur un vaste territoire qu’ils se sont adjugé par la violence et la fourberie. Ce qui est prouvé par l’histoire, c’est qu’ils n’ont aucune parenté avec les Hachémites qu’ils ont chassés à coups de complots et de tueries. La Dynastie hachémite est la plus importante et la plus reconnue du monde arabe, car elle a gravité depuis la nuit des temps autour de la Mecque qui s’avère être le centre de la planète par excellence. C’est dans cette tribu des Béni Hachem (Beni Hicham) qu’est survenu le meilleur de toutes les créatures, le messager d’Allah, le prophète Mohamed que le salut soit sur lui, jusqu’à la fin des temps.

Oui, les Saoud se sont approprié cette terre d’Arabie en chassant et en décimant les véritables tribus arabes qui se sont effacées devant l’oppression sanguinaire des hordes sauvages qui ont semé l’horreur par la terreur. Ils ont chassé les gardiens originels du premier Lieu sacré pour occuper leur place et sévir sur tout le pays. Cependant, ils ne sont pas les seuls à être incriminés, car la faute revient à la naïveté des Arabes et la perfidie des Ottomans. Ceux-ci doivent normalement rendre des comptes et payer, rubis sur ongle, la décadence des pays qu’ils ont administrés pendant plus de quatre siècles. C’est par faiblesse et surtout parce que les nouveaux arrivants sont musulmans, les pays arabes ont été favorables et permissifs à l’occupation déguisée des Turcs anciens. Oui, le protectorat ottoman a été fatal pour tous les États musulmans.

Il faut reconnaitre que le pouvoir des chérifs de la Mecque n’a jamais été remis en cause par la Porte Sublime et justement, c’est cette passivité qui va encourager les wahhabites à avoir des vues sur la région. Cette période-là est importante et significative, car elle va modifier les liens unissant les tribus et transformer la société arabe dans cette vaste région désertique. Cela commence justement avec le début du dix-neuvième siècle où l’on enregistre les premières tentatives des wahhabites à conquérir le Hedjaz et Nedjd. Il faut que le monde arabo-musulman sache que la conquête de la Mecque par les sbires de Mohamed Ibn Abdalwahhab et de Mohamed Ibn Saoud fut empêchée et repoussée une première fois par les Égyptiens appelés en rescousse par le Chérif de la Mecque de l’époque.

Les agresseurs furent obligés de se replier sur leurs terres du côté de Riad en attendant un avenir meilleur. L’attente fut relativement longue mais assez conséquente et surtout payante.au fur et à mesure que l’empire ottoman rapetissait et le pouvoir des Turcs s’amenuisait, il émergeait d’autres puissances étrangères ne cachant nullement leurs ambitions tant politiques qu’économiques. L’homme malade se débat et l’empire se meurt en rétrécissant comme une peau de chagrin. Les Turcs ne parviennent plus à empêcher l’effritement, mais pire encore, ils accélèrent le processus de démembrement. C’est durant cette période incertaine et floue qu’émerge un homme qui a grandi à l’ombre du sultanat ottoman sans interférer dans les querelles intestines animant les différentes ailes du pouvoir central. Hussein Bin Ali devint alors le grand Cherif de la Mecque en remplacement de son cousin qui était proche du Sultan déchu. Et puis comme il est grand Cherif, il pense grand en comptant établir sa souveraineté sur la moitié du Moyen-Orient. Ambition oblige, il rêve d’un royaume arabe, bien sûr, s’étalant du Hedjaz jusqu’à Beyrouth.

Les chefs arabes aiment administrer des sujets et non des citoyens à part entière, alors ils se proclament rois. Présider ne leur suffit pas, il faut qu’ils règnent en jouissant d’un pouvoir absolu. Cette inclination au pouvoir doublée d’une cupidité sans borne va amener le descendant hachémite à s’allier au diable qui n’est autre que la perfide Albion. Le déclin de l’Empire ottoman suite aux guerres balkaniques et son alignement du côté allemand lors de la Seconde Guerre mondiale vont encourager le Chérif à tomber dans le miroir aux alouettes tendu par l’Angleterre. En effet, il loue ses services et propose d’entrer en guerre contre l’Homme malade en échange d’un État arabe englobant toutes les provinces arabes sous le protectorat. Alors, au motif que les Turcs ne respectent pas l’Islam, l’on fomente une rébellion qui atteint très vite les proportions d’une révolte, puisque les gens sont plus enclins à adhérer à une guerre sainte. Il fallait juste crier aux sorcières.

Pendant que Sykes et Picot se partagent les domaines, les Arabes échaudés meurent au nom de l’Islam contre un pouvoir qui est jusqu’à preuve du contraire musulman. Cette alliance contre nature entre les Arabes et les Anglais va couter très cher aux premiers durant de longues et noires décennies. Néanmoins, le Cherif conserve le royaume du Hedjaz en parallèle à celui du Sultanat du Nejd sous le règne d’Abdelaziz Al Saoud. À la fin de la Première Guerre mondiale et les négociations qui s’en suivent (Traité de Sevres), l’Empire ottoman est à l’agonie. Le coup fatal lui est porté par l’abolition du Califat par Mustapha Kemal. Quand un homme meurt, ses laveurs funéraires sont plusieurs. Les deux rois arabes courtisent en secret des idées expansionnistes. Celui de la Mecque se proclame d’emblée Calife. Le second, son voisin dont l’un des arrières grands-pères avait envahi le Hedjaz en son temps, voit s’offrir devant lui l’occasion de réaliser le rêve du grand royaume des Al Saoud. Ceci ne peut avoir lieu sans se débarrasser du premier. Se déclarant juste gardien des Lieux saints, car ne descendant pas du prophète Mohamed, il attendit que le temps fasse son effet sur la mémoire et l’esprit des gens. Suite à la prise Médine, il abolit le titre de Cherif pour régner sans conteste sur toute la région.


Copyright © 2017 Benaissa Abdelkader

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